Entre l’islamologue et romancier, Rachid Benzine, et le président de la République française, Emmanuel Macron, l’échange a nourri une relation privilégiée entre deux hommes très sensibles au débat d’idées et qui font grand cas du philosophe Paul Ricœur.
Des sujets de discorde entre les deux hommes, il y en a eus… Le concept d’islam de France auquel Benzine avait réagi avec des mises en garde contre d’éventuelles dérives, mais aussi la terminologie de"séparatisme" employée par le président français à laquelle l’islamologue n’adhère pas. Mais s’il y a bien un sujet qui unit Rachid Benzine et Emmanuel Macron et a permis de tisser une relation complice entre les deux hommes, c’est bien celui du principe de reconnaissance.
Interrogé sur la question raciale, "un sujet brûlant" en France, relève la journaliste américaine de CBS, Emmanuel Macron répond que pour endiguer cette montée du racisme et des discriminations, il s’agit d'une certaine manière de "déconstruire notre propre histoire" et ce, dans le but de "reconstruire l'unité de nos sociétés". Car pour le président français, "une nation est basée sur l'unité avec les différences".
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Derrière le concept de reconnaissance, souligne le journal L’Opinion dans son édition du jeudi 22 avril, "on trouve Rachid Benzine, islamologue libéral et romancier, chercheur associé au Fonds Paul Ricœur, qui échange souvent avec Emmanuel Macron". Et d’ajouter: "tous deux (Emmanuel Macron et Rachid Benzine, Ndlr) partagent la même affinité avec le philosophe de la mémoire. Ensemble, ils ont plusieurs fois parlé du 'déni de reconnaissance' de l’Etat qui crée des 'pathologies sociales'– y compris dans d’autres sphères, comme les Gilets jaunes, les policiers…".
Ce lien établi entre passé colonial et racisme par Emmanuel Macron est perçu par certains comme un "bastion de progressisme", estime le journal L’Opinion, mais aussi comme un camouflet qui n’a pas manqué de "faire bondir la droite et l’extrême droite". Mais pour Rachid Benzine qui vient de la même école de pensée qu’Emmanuel Macron et représente son interlocuteur privilégié sur la question, "plus le récit national est inclusif, plus on fait place à l’histoire de France dans sa complexité, plus les individus s’y reconnaîtront", explique-t-il à L’Opinion. "On développe l’appartenance à la nation et l’envie des citoyens de participer. C’est la seule manière de sortir de la polarisation identitaire dans laquelle nous nous enfermons, qui crée du ressentiment et qui prépare les violences de demain" poursuit-il.
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Au cœur du débat, la mémoire en philosophieCe qui unit par-dessus tout les deux hommes, c’est une idée commune que la philosophie peut transformer le monde. Car Rachid Benzine est aussi et surtout chercheur associé au Fonds Paul Ricœur, philosophe dont Emmanuel Macron a été l’assistant éditorial dans les années 1990, à la fin de ses études de philosophie à Nanterre.
Pour mieux comprendre cette pensée commune aux deux hommes, il faut se référer à une tribune signée par l’islamologue dans le Journal du Dimanche en juin 2020, en plein mouvement #blacklivesmatter ayant abouti dans plusieurs pays au déboulonnement de statues de personnages liés à un passé colonial peu glorieux. Rachid Benzine s’exprime alors en réaction à l’allocution du 14 juin d’Emmanuel Macron dans laquelle président français déclarait: "la République n’effacera aucune trace de son histoire. La France ne déboulonnera pas de statues".
Selon Rachid Benzine, la France qui a été "tantôt esclavagiste, tantôt abolitionniste; tantôt colonialiste, tantôt anti-colonialiste" doit prendre en compte la pluralité et la complexité de son histoire et ce, afin de permettre aux descendants des dominés de se considérer vraiment comme membres à part entière de la communauté nationale. Car "pour nourrir un sentiment d’appartenance, il faut avoir la garantie que l’on est bien accepté par le groupe majoritaire, sans que soit niée ou ignorée sa propre part d’héritage. Il faut que les déséquilibres dans les relations entre groupes engendrés par l’histoire, soient identifiés afin d’être corrigés", écrit-il.
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Pour parvenir à écrire ce récit commun, préconise-t-il, il s’agit donc de favoriser la formulation, l’écoute, l’échange et la conjugaison de plusieurs récits. "Il y a un lien très fort entre récit(s), reconnaissance, appartenance et participation" rappelle Benzine en citant Ricœur, philosophe de mémoire qui écrivait que faire société, c’est "faire mémoire de toutes les traditions qui s’y sont sédimentées". Une pensée que partage Emmanuel Macron, qui pendant ses années de contributeur au sein de la revue philosophique avait signé un dossier, Les historiens et le travail de mémoire, inspiré par la pensée de Paul Ricœur qu’il assistait lors de l’écriture de La Mémoire, l’histoire, l’oubli.
Cette pensée commune à Ricœur, Rachid Benzine et Emmanuel Macron est à l’œuvre pour permettre d’apaiser bien des tensions. Elle est au cœur de plusieurs initiatives du président français. Que ce soit en réfléchissant à la panthéonisation d’une figure symbole de la diversité, en remettant au goût du jour le projet abandonné en 2014 d’un musée d’histoire de la France et de l’Algérie, en attribuant des dates commémoratives aux Harkis, aux Algériens et aux accord d’Evian ou encore, en établissant un recueil de 318 noms de figures issues de l’immigration pour baptiser des noms de rue et des bâtiments publics. D’ailleurs Rachid Benzine a participé à la sélection des 318 noms, en sa qualité de membre du comité scientifique dirigé par l’historien Pascal Blanchard.