Paris-Alger, une relation congestionnée

Mustapha Tossa.

ChroniqueLe second niveau de l’amertume et de la déception algériennes — et du manque d’entrain du président Tebboune — est à chercher dans les nombreuses demandes restées lettre morte d’Alger à l’adresse de Paris. Une préoccupation omniprésente au sommet de la hiérarchie algérienne, mais très peu médiatisée, consiste à demander à l’État français de cesser les poursuites judiciaires visant des membres de son personnel diplomatique, impliqués dans des tentatives d’enlèvement et d’assassinat d’opposants algériens en France, et d’obtenir la libération de ceux qui sont déjà arrêtés dans le cadre de cette procédure.

Le 08/12/2025 à 16h00

L’hirondelle Boualem Sansal n’a finalement pas annoncé le grand printemps dans la relation entre la France et l’Algérie. Malgré ce que la démarche de sa libération pouvait suggérer, aucune dynamique positive n’a pu être enclenchée sur l’axe Paris-Alger. Le procès en appel du journaliste Christophe Gleizes, incarcéré dans les geôles algériennes pour relations avec une entreprise terroriste, a révélé, si besoin en était, l’ampleur du blocage qui caractérise cette relation. La confirmation en appel d’une peine de sept ans de prison, assortie d’un procureur jusqu’au-boutiste exigeant le maximum — c’est-à-dire dix ans — n’est pas, à proprement parler, un signal de détente ni de proche amélioration.

Les optimistes forcenés peuvent toujours arguer que le régime algérien laisse la procédure judiciaire aller à son terme avant que le président Abdelmadjid Tebboune n’intervienne pour prononcer une grâce, pour des raisons humanitaires. Mais cette hypothèse, même si elle séduit certains esprits, souffre d’une grande improbabilité. Car, comme le dit une maxime moyen-orientale, si le temps devait être pluvieux, on aurait déjà vu les nuages. Or ce qui se joue dans la relation conflictuelle entre Paris et Alger annonce, pour rester dans la métaphore météorologique, davantage de tourbillons que d’embellies.

Comment expliquer alors ce statu quo de la crise franco-algérienne, malgré les signes de détente des uns et des autres, et malgré le volontarisme affiché du président Emmanuel Macron, décidé à clore cette crise et à engager les deux pays dans une nouvelle séquence? Force est de constater que cette démarche était déjà mal partie au lendemain de la libération de Boualem Sansal. Pour couronner ce geste libérateur et tenter d’en tirer des bénéfices mutuels, un sommet était programmé entre Macron et Tebboune, en marge du G20 en Afrique du Sud. Une visite à Alger du ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, était également dans les tuyaux. Or ni la rencontre au sommet ni la visite du nouveau locataire de la place Beauvau n’ont eu lieu, suscitant de nombreuses interrogations sur les raisons de ce blocage.

Il est possible de décrypter cette impasse franco-algérienne à deux niveaux: l’un apparent, l’autre plus profond et moins visible. Le premier serait lié à l’attitude de Boualem Sansal une fois libéré et installé à Paris. Il est vrai que l’écrivain franco-algérien s’est dit, dans ses nombreuses sorties médiatiques, contraint dans son expression; mais, à y regarder de plus près, il a aussi asséné quelques vérités qui ont contribué à accroître l’irritation des dirigeants algériens, ne serait-ce que par ce qu’il a réaffirmé, sur un ton plus calme, de ses convictions quant à l’appartenance historique de l’ouest algérien à l’empire chérifien marocain. Sans doute le deal implicite, pour le régime algérien, était-il que Sansal, une fois libéré, mette la sourdine et s’abstienne de toute déclaration jugée provocante.

«Il n’est pas exclu que le raidissement des autorités algériennes sur le cas de Christophe Gleizes soit directement lié à ces poursuites judiciaires françaises, déjà engagées ou à venir, contre la crème du renseignement algérien, directement impliquée dans ces attentats sur le sol français.»

—  Mustapha Tossa

Le second niveau de l’amertume et de la déception algériennes — et du manque d’entrain du président Tebboune — est à chercher dans les nombreuses demandes restées lettre morte d’Alger à l’adresse de Paris. Une préoccupation omniprésente au sommet de la hiérarchie algérienne, mais très peu médiatisée, consiste à demander à l’État français de cesser les poursuites judiciaires visant des membres de son personnel diplomatique, impliqués dans des tentatives d’enlèvement et d’assassinat d’opposants algériens en France, et d’obtenir la libération de ceux qui sont déjà arrêtés dans le cadre de cette procédure.

Il n’est pas exclu que le raidissement des autorités algériennes sur le cas de Christophe Gleizes soit directement lié à ces poursuites judiciaires françaises, déjà engagées ou à venir, contre la crème du renseignement algérien, directement impliquée dans ces attentats sur le sol français. Dans cette logique, Alger proposerait un troc aux autorités françaises: une justice «du téléphone» algérienne qui libérerait sur-le-champ Christophe Gleizes contre une justice «du téléphone» française — Élysée / Garde des Sceaux — qui mettrait fin à ces poursuites contre des diplomates et des personnalités du renseignement algérien. Or ce qui peut être envisageable à Alger devient impossible à Paris, séparation des pouvoirs oblige.

À cette divergence s’ajoutent d’autres sujets de déception côté algérien. À commencer par le refus catégorique de la France de tempérer son enthousiasme et son soutien à la souveraineté marocaine sur le Sahara; les possibles sympathies françaises à l’égard des porte-drapeaux de l’autonomie kabyle, qui ont établi leurs quartiers généraux à Paris; sans parler de la réticence française à imposer le silence aux nombreux activistes opposants algériens auxquels la France a accordé un refuge politique, en leur garantissant une liberté d’expression et de critique du régime algérien.

Malgré une nécessité partagée de revenir à une relation apaisée, l’axe Paris-Alger paraît congestionné par de nombreux abcès qu’il faudrait impérativement crever pour envisager autre chose qu’une rupture froide. Emmanuel Macron, qui a exprimé sa profonde inquiétude quant au sort réservé à Christophe Gleizes, a promis d’agir pour sa libération. Et la question qui est sur toutes les lèvres demeure: que peut réellement faire le président français pour arracher le journaliste sportif aux geôles algériennes?

Par Mustapha Tossa
Le 08/12/2025 à 16h00