Nacer Djabi, sociologue algérien: "On a l’impression que le pouvoir fonce dans le mur"

Le sociologue algérien Nacer Djabi

Le sociologue algérien Nacer Djabi . DR

Revue de presseKiosque360. Dans une interview publiée par le quotidien français Le Monde, la journaliste Charlotte Bozonnet s’entretient avec Nacer Djabi, sociologue, qui revient sur les résultats du scrutin législatif du 4 mai dernier en Algérie.

Le 11/05/2017 à 18h55

Ce jeudi 11 mai, le quotidien français le Monde a publié, sur son site internet, un article intitulé «Algérie: Les votes blancs ont été plus nombreux que ceux pour le FLN», dans lequel la journaliste Charlotte Bozonnet s’entretient avec Nacer Djabi, sociologue algérien, qui revient sur les résultats du scrutin législatif du 4 mai dernier, en Algérie.

Le sociologue Nacer Djabi souligne le dépit exprimé par la société algérienne face à l’immobilisme politique. Une attitude qui se traduit par l’absentéisme, puisque le taux de participation officiel est de 35%.

Le sociologue explique que «le pouvoir voulait 50% à 55% de participation pour montrer que les gens s’intéressent à la vie politique». «Tandis que, pour la population, le vote, c’est la seule façon de manifester son mécontentement», poursuit-il. Il affirme également que ce scrutin a connu un fait nouveau, celui du vote blanc. Car il est difficile pour les fonctionnaires et les habitants des petites villes de ne pas se rendre aux urnes. «Ils pensent qu’avoir sa carte de votant tamponnée permet de ne pas avoir de problème avec l’administration».

Il confie également des chiffres à la journaliste. C’est ainsi que, révèle le Conseil constitutionnel algérien, 1.757.043 bulletins nuls. «C’est plus que les voix recueillies par le FLN: 1.681.321 suffrages! C’est une façon pour ces électeurs de s’exprimer, de dire qu’ils refusent de jouer le jeu mais de manière pacifique», analyse-t-il.

Le contexte où se sont déroulées ces élections expliquent les résultats. «Il n’est pas normal qu’un parti reste au pouvoir plus de cinquante ans. Or, le seul moyen dont ils disposent pour dire "non" est l’abstention».

Revenant sur la campagne qui a précédé les votations, Nacer Djabi relève les appels au boycott «venant non pas des partis mais de la société civile. Est-ce un phénomène nouveau?», lui demande la journaliste du Monde. Il confirme que le phénomène est apparu en 2012. A travers les réseaux sociaux, les jeunes expriment aussi bien des sentiments de colère qu'un désintérêt. Il prend pour exemple une vidéo diffusée sur la toile «Mansotich » (je ne saute pas), qui a enregistré près de 4 millions vues.

Pour lui, «les Algériens voient bien que les élections sont entachées de corruption: les places dans les listes sont monnayées». Il fait un retour en arrière et rappelle qu’auparavant, «des membres de la classe moyenne, fonctionnaires surtout, pouvaient se présenter aux élections. Depuis 2007, (...) ce sont les grands hommes d’affaires qui s’intéressent à la vie politique. Ils sont candidats, achètent leur place sur les listes pour avoir une bonne position».

Il commente également les résultats des deux partis de l’alliance présidentielle: FLN et RND. Le premier recule de 50 sièges, le second progresse de 30. «Nous avons un parti unique à deux têtes. Il s’agit de vases communiquant: ce que le FLN perd, le RND le gagne», lance le sociologue.

Evoquant les partis islamistes, arrivés en troisième position, il explique qu’«ils sont différents du FIS, dont ils n’ont pas la base populaire. Ce sont des gens intégrés dans le système, qui veulent être une force politique».

Pour leur part, les nombreux partis dits d’opposition n’arrivent pas à faire le contrepoids avec les formations politiques au pouvoir. «Parce que le jeu politique est biaisé avant même les élections. On ne laisse pas travailler les partis. On empêche des réunions, des manifestations, on leur interdit une visibilité médiatique», indique-t-il.

En conclusion, il confirme que «les signes de grand mécontentement sont là. Il y a des transformations profondes au sein de la société algérienne, comme l’ont montré ces vidéos de jeunes youtubeurs pendant la campagne électorale». «On a l’impression que le pouvoir, au lieu d’y répondre, fonce dans le mur», ajoute-t-il.

Par Imane Azmi
Le 11/05/2017 à 18h55