L’histoire secrète du Bureau politique du Polisario à Paris

Karim Serraj.

ChroniqueLe 2 février 1982, le Front Polisario annonçait en conférence de presse l’ouverture d’une «représentation officielle» à Paris. Présenté comme une victoire diplomatique par Alger et relayé par ses relais militants français, l’événement fut en réalité une illusion soigneusement entretenue. Derrière le vernis propagandiste, la France ne vit dans ce Bureau qu’une banale association loi 1901, sans aucune portée diplomatique. Retour sur une mystification.

Le 28/09/2025 à 11h00

Le 2 février 1982, à Paris, le Polisario annonça en grande pompe, lors d’une conférence de presse, l’ouverture imminente d’une «représentation officielle». L’événement n’avait rien d’anodin: il s’agissait de la première fois que le mouvement séparatiste disposait d’une vitrine dans une capitale occidentale de premier plan. Présenté comme un «Bureau politique», ce lieu était censé «établir un dialogue direct, officiel et permanent avec le Front Polisario». En d’autres termes, le Polisario entendait se doter d’une légitimité institutionnelle, en se plaçant sur un pied d’égalité avec les chancelleries étrangères et les représentations diplomatiques déjà présentes à Paris.

Des tracts furent diffusés jusque dans les couloirs du métro parisien, témoignant d’une volonté d’occuper l’espace public et de populariser le Polisario encore largement méconnu de l’opinion française. Les invitations à l’inauguration du «Bureau» furent imprimées et adressées à un cercle mêlant journalistes, élus, militants tiers-mondistes et figures syndicales, dans l’espoir de donner à l’événement une ampleur médiatique et politique. L’entité se dota d’un intitulé solennel: «Représentation du Front Polisario en France», comme si elle s’inscrivait dans le même registre que les chancelleries ou les délégations officielles des États souverains.

Le choix du lieu renforçait cette prétention. Le 27, quai Anatole-France, adresse prestigieuse face à l’Assemblée nationale, fut loué par Alger pour servir de siège au Polisario. L’emplacement n’était pas neutre: il plaçait les séparatistes au cœur de la vie politique française, à deux pas des députés et des institutions républicaines, comme pour signifier que le dossier «Sahara» avait désormais son porte-voix officiel au sein de la capitale.

Le lundi 29 mars 1982, une réception fut organisée pour célébrer, en grande pompe, ce que les dirigeants séparatistes présentèrent comme un moment historique: la reconnaissance explicite de leur mouvement. Les discours furent marqués par une rhétorique de libération nationale et de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Dans une mise en scène étudiée, le Polisario se montra soucieux d’affirmer qu’il entrait de plain-pied dans l’arène diplomatique internationale. La soirée, rythmée par des déclarations enflammées et la présence de soutiens français, fut interprétée par ses promoteurs comme une victoire: la France, en laissant s’installer cette représentation, donnait au mouvement une visibilité inédite sur la scène occidentale.

Une inauguration mise en scène comme une victoire historique

À l’époque, Sahara Info, bulletin de propagande du Polisario en France, exultait. Dans un éditorial triomphal, on pouvait lire: «Enfin! Une représentation officielle du Front Polisario va pouvoir être ouverte à Paris. Une victoire pour le peuple sahraoui. Une victoire aussi pour tous les amis de la RASD, qui depuis 1976 mènent ce combat.» Le ton laissait transparaître une double fierté: celle d’un mouvement qui parvenait à s’imposer dans l’espace politique d’un grand pays occidental, et celle d’un réseau militant en France qui voyait ses efforts de lobbying récompensés.

L’édito insistait sur deux points fondamentaux. D’une part, il affirmait que «cet événement (…) concrétise la reconnaissance du Front Polisario par le gouvernement français». Derrière cette phrase se nichait une revendication hautement stratégique: transformer une simple tolérance administrative en reconnaissance diplomatique de facto. D’autre part, il soulignait que «l’ouverture de la Représentation signifie que la France a fait un pas de plus vers une véritable politique de neutralité dans ce conflit». Ce second volet visait à inscrire l’événement dans une lecture géopolitique plus large: le Polisario entendait démontrer que Paris, longtemps un allié privilégié de Rabat, s’orientait désormais vers une posture d’équilibre entre les deux parties.

Aux yeux des militants séparatistes, cette mise en scène permettait de nourrir le récit d’un mouvement en marche vers la légitimation internationale. Aux yeux des observateurs français et marocains, en revanche, il s’agissait d’une interprétation pour le moins aventureuse, voire provocatrice, de la réalité diplomatique.

Selon les archives diplomatiques françaises, une simple association loi 1901

Qu’en est-il vraiment? Le fameux Bureau que les miliciens présentaient comme une ambassade en devenir n’était en réalité rien de plus qu’une coquille vide. Leur obstination de claironner au fil des semaines, à l’aide de communiqués publiés depuis Alger, des victoires imaginaires ajoutait à leurs lubies une propension nouvelle: défoncer des portes fermées en France. Car les archives de Paris livrent une tout autre vérité: la prétendue «Représentation» n’était qu’une banale association de droit privé régie par la loi de 1901, sans aucun statut officiel. L’État français, prudent, n’avait octroyé ni reconnaissance ni privilège particulier.

«Le Comble c’est qu’avec l’enregistrement de ce Bureau, le nom «Polisario» ne signifiait rien de plus, au regard de la loi française, qu’une simple dénomination d’association»

—  Karim Serraj

Dans une note interne datée du 9 novembre 1981, le Quai d’Orsay mentionne la requête du Polisario pour l’ouverture de son Bureau à Paris. Cinq mois avant sa mise en place, la position française était déjà arrêtée. Le ministre indiquait: «Pas d’objection à l’ouverture à Paris d’un Bureau d’information», mais ajoutait aussitôt: «aucune reconnaissance officielle de notre part, ni facilité spéciale d’aucun ordre». Autrement dit, la France se gardait d’accorder le moindre statut diplomatique. Derrière la tolérance formelle, il y avait une ligne rouge.

Dans une seconde note, datée du 24 novembre 1981, le Quai d’Orsay adopte un ton encore plus explicite. On peut y lire que «l’ouverture à Paris de Bureaux d’information par des mouvements de libération est, en soi, un acte sans conséquences juridiques». Au regard du droit français, poursuit la note, «un mouvement de libération est une association (…) les associations étrangères peuvent se former librement, sans autorisation ni même déclaration (…) le Gouvernement n’a pas à donner son consentement à l’ouverture de Bureaux par (…) le Front Polisario». Autrement dit, Paris ne voyait dans ce Bureau qu’une formalité tolérée par la loi de 1901, et certainement pas une représentation politique dotée d’un statut.

Le Polisario n’avait donc nul besoin d’un «agrément» particulier pour s’installer. En vertu de la loi française, il suffit d’être au moins deux– personnes physiques ou morales– pour constituer une association, fût-elle étrangère, et s’autoproclamer «représentation» de la cause qui lui chante. Sur le plan strictement juridique, l’opération menée par les le Polisario ne dépassait pas ce cadre minimaliste: techniquement, il suffisait d’«informer» la préfecture de police de Paris de l’ouverture de leur Bureau au 27, quai Anatole-France.

Ce qui, aux yeux de leurs militants, fut brandi comme une poussée diplomatique, n’était pour le gouvernement français qu’une simple formalité associative. L’élément décisif tient au fait que la loi de 1901 avait été assouplie: l’ancienne obligation d’obtenir une autorisation préalable pour toute association étrangère avait été supprimée par le nouveau pouvoir socialiste, dès l’arrivée de François Mitterrand. Ainsi, contrairement au récit glorieux colporté par le Polisario, Paris ne considérait en rien cette structure comme une ambassade ou un Bureau politique. Le Quai d’Orsay, fidèle à la ligne définie dès novembre 1981, refusa de lui accorder le moindre statut diplomatique.

Objectifs affichés du Bureau

Exit la véritable désignation juridique, une association, de ce faux Bureau politique. Alger, en propagandiste chevronnée, s’employa à travestir la réalité, laissant entendre que la France s’apprêtait à officialiser un canal de dialogue avec les miliciens sahraouis. À Paris, durant quelques mois, le Polisario s’acharna à marteler le caractère «officiel et permanent» de sa présence, multipliant communiqués et rencontres pour accréditer l’idée d’une nouvelle ère de relations diplomatiques avec l’Élysée.

À Tindouf, l’événement fut exploité à l’excès. On le présenta comme un triomphe politique, une percée sur la scène internationale, et même comme le début d’une reconnaissance de la lutte séparatiste dans le Sahara. Le Bureau parisien, décrit avec emphase comme un outil tactique, devait permettre au Polisario d’obtenir, de facto, une reconnaissance politique. Dans ses propres récits, le mouvement affirmait que la France était désormais tenue de dialoguer «officiellement» avec lui, au même titre qu’avec le Maroc.

Dans les médias, la France s’attacha à calmer les ardeurs des séparatistes, en rappelant que rien n’avait changé. Les autorités soulignaient que si l’installation du Bureau avait été possible, c’était uniquement en raison de la modification du cadre légal des associations intervenue en 1981, qui simplifiait la constitution d’associations étrangères. Autrement dit, l’ouverture du local parisien relevait d’une évolution administrative, et non d’un geste politique en faveur du Polisario.

Dans les faits, le Bureau continua à fonctionner comme une association à caractère informatif, capable de publier des communiqués, d’organiser des réunions et de servir de vitrine à la cause sahraouie. Mais il ne donna lieu à aucun traité, ni reconnaissance diplomatique. Pour le Polisario, en revanche, ce Bureau demeura un précieux outil de propagande, permettant d’entretenir l’illusion d’une légitimité internationale naissante.

Débats à Paris: enthousiasme à gauche, hostilité à droite

Quant à la sphère politique française, les parlementaires de gauche y virent un prolongement logique du message tiers-mondiste du gouvernement Mitterrand. L’argument mobilisé était celui de la cohérence: comment soutenir officiellement les groupes séparatistes africains et asiatiques, puis refuser à Alger d’ouvrir une association d’information pour son poulain dans la capitale française? À l’inverse, les élus de droite exprimèrent leur méfiance, estimant que la France n’aurait pas dû accepter un loup dans sa bergerie. Ils soulignaient que la présence d’un tel Bureau à Paris risquait d’être interprétée comme une forme de reconnaissance politique, voire diplomatique, d’un mouvement armé engagé dans des opérations militaires contre le Maroc et la Mauritanie. Leur hostilité était nourrie par la mémoire encore brûlante des prises d’otages de civils français dans le Sahara: entre 1975 et 1977, le Polisario avait revendiqué quatre opérations de séquestration, impliquant dix-sept ressortissants, dans la région de Tindouf, en Algérie. Sept d’entre eux furent exécutés, ce qui marqua durablement l’opinion et la représentation nationale.

Au Parlement, le groupe RPR/UDF multiplia les questions au gouvernement, exigeant des garanties et dénonçant ce qu’il considérait comme une complaisance dangereuse. Derrière l’argument sécuritaire se profilait une critique plus large: ne risquait-on pas de transformer un Bureau de représentation en gîte pour une organisation armée, en lui offrant une légitimité et un ancrage dans le paysage politique français? La droite martelait que ce précédent pouvait ouvrir la porte à d’autres mouvements de guérilla.

Icare brisé et le rejet de l’opinion française

Les miliciens tentèrent dans la foulée de ce Bureau de diversifier leurs moyens de propagande, en projetant la création d’une station de radio privée, profitant de la libéralisation des ondes décidée par François Mitterrand. Mais cette fois, une autorisation spécifique était requise, et celle-ci leur fut refusée. Parallèlement, Alger chercha à donner du crédit à la cause sahraouie en commandant, à grands frais, un sondage auprès de la SOFRES. Mais le retour fut désastreux: les résultats révélèrent un rejet massif. Les Français interrogés se déclaraient presque unanimement opposés à l’installation du Polisario sur leur sol national. Une majorité nette exprimait le souhait de voir ce groupuscule s’installer ailleurs, hors de France. Plus encore, le sondage mit en lumière une constante diplomatique: l’opinion française se montrait favorable aux thèses défendues par le Royaume du Maroc, confirmant que, loin de conquérir les esprits, le Polisario suscitait défiance et incompréhension.

Alger escomptait transformer cette association de droit privé en un véritable canal de communication politique: un haut-parleur destiné à se faire entendre des autorités françaises, des médias et de l’opinion publique. L’objectif était clair: créer un fait accompli à Paris, forcer la France à composer avec la présence du Polisario et, ce faisant, adresser un signal au Royaume du Maroc. Aux yeux de ses parrains algériens, l’ouverture du Bureau parisien devait consacrer l’idée que la «cause sahraouie» disposait désormais d’un relais permanent au cœur de l’Europe, capable de peser dans le jeu diplomatique.

Le Comble c’est qu’avec l’enregistrement de ce Bureau, le nom «Polisario» ne signifiait rien de plus, au regard de la loi française, qu’une dénomination d’association. Le contraste entre l’emballage propagandiste et la sécheresse du droit illustrait à quel point cette «victoire» se révéla humiliante.

Par Karim Serraj
Le 28/09/2025 à 11h00