Cherchant à démontrer que l’Algérie n’est pas née en 1830 d’une volonté française, l’histoire officielle algérienne, qui est à la recherche de «pré-Algéries», pense avoir trouvé ces dernières dans les principautés de Tlemcen et de Bougie. Cette idée est-elle scientifiquement licite? Pour le savoir, reprenons donc l’histoire de la région.
Maîtres de tout le Maghreb, les Almohades délèguèrent le pouvoir local à des gouverneurs. Pour l’Ifriqiya —une province s’étendant approximativement de Constantine à la Tripolitaine— le gouverneur fut Mohammed ben Abou Hafs, d’où le nom de la dynastie hafside. Ce Berbère Hintata (groupe Masmouda) était le fils d’Abou Hafs Omar, un des compagnons d’Ibn Toumert, le fondateur de la puissance almohade. À l’ouest, les Almohades nommèrent Yaghmorasan ben Zayan, d’où Zianide, Berbère de la tribu des Beni Abd el-Wad, comme gouverneur de Tlemcen.
En 1229, le sultan marocain Al Mamoun (1229-1232), rejeta la doctrine almohade pour en revenir au sunnisme. Aussitôt, le gouverneur de l’Ifrikiya, Abou Zakaria Yahya (1229-1249), petit-fils d’Abou Hafs Omar, rompit avec le Maroc et se proclama émir. À Tlemcen, en 1235, les Zianides (ou Abd el-Wadides) firent de même.
Ayant rompu avec le Maroc, Bougie et Tlemcen eurent chacune une courte période de véritable indépendance. Le royaume de Bougie dépendit des périodes de puissance de Tunis. Quant au royaume de Tlemcen, il fut pris en tenaille entre le Maroc des Mérinides (1258-1420) à l’ouest et Tunis à l’est. Il réussit parfois à desserrer leur étreinte, mais il devait le plus souvent la subir. Voilà pourquoi ni Bougie ni Tlemcen ne furent la matrice de l’Algérie. La chronique d’aujourd’hui étant consacrée à Bougie, je laisserai donc de côté l’histoire de Tlemcen.
Après 1294, le royaume hafside d’Ifrikiya éclata en deux quand l’émir hafside de Bougie fit sécession pour créer un royaume ayant pour capitale Bougie, s’étendant à la plus grande partie de la région de Constantine.
Les deux royaumes hafsides, celui de Tunis et celui de Bougie, se combattirent durant plus de vingt ans, s’auto épuisant au plus grand profit des tribus arabes hilaliennes arrivées entre temps et qui monnayèrent leur soutien aux deux camps.
Finalement, un compromis fut trouvé au terme duquel le dernier survivant du sultan de Tunis Abou Açida (1295-1309), ou de celui de Bougie, Abou-I-Baqa (1309-1311), réunirait les deux royaumes.
Abou Açida de Tunis mourut le premier et Abou-I-Baqa de Bougie régna donc durant quelques années sur le royaume hafside réunifié, mais un de ses cousins, Ibn el-Lihyani (1311-1318) prit le pouvoir, appuyé sur les tribus arabes. Puis l’anarchie fut générale.
Sous le règne d’Abou Bakr II al-Mutawakil (1318-1346), le royaume hafside fut à nouveau reconstitué, mais au profit de Tunis. Puis il fut confronté au grand mouvement d’expansion des Mérinides marocains qui, après avoir conquis le centre de l’actuelle Algérie, avançaient vers l’est.
De 1347 à 1350, le sultan mérinide Abou l’Hassan (1331-1351), étant le maître des actuelles Algérie et Tunisie, le royaume hafside disparût donc. Après le retrait marocain qui se produisit en 1350, l’ancien royaume hafside ne fut pas reconstitué. Cependant, trois principautés hafsides naquirent alors, Tunis, Bougie et Constantine, toutes trois dirigées par des membres de la famille hafside.
L’unification partielle de ces trois entités se produisit au profit de Tunis sous les règnes d’Ahmad II al-Mustansir (1370-1394) et de son fils Abou Faris al-Mutawakil (1394-1434).
Le pouvoir se délita ensuite et, à Bougie, plusieurs souverains affaiblis se succédèrent en s’efforçant de maintenir une autorité de plus en plus chancelante. Puis, en 1510, l’Espagnol Pablo de Navarro prit Bougie. L’Espagne conserva la ville jusqu’en 1555, date à laquelle le Turc Salah Raïs la conquit. Au XVIème siècle, l’actuelle Algérie devint une colonie ottomane.
La Bougie hafside n’eut donc en réalité que quelques décennies de véritable autonomie. De plus, et cela fut une constante de son histoire, comme elle regardait vers l’est, vers Tunis, là où battait le cœur de la dynastie, elle n’eut donc pas de politique pré-nationale «algérienne». Bougie et Tlemcen n’ont donc pas fondé d’État algérien, alors que Fès et Marrakech ont bien constitué un empire.





