Législatives du 12 juin: l’armée algérienne menace les boycotteurs

Abdelmadjid Tebboune et le général Said Chengriha.

Abdelmadjid Tebboune et le général Said Chengriha. . DR

Après avoir longtemps tergiversé sur le bien-fondé de l’organisation des législatives de ce 12 juin, de crainte d’un nouveau taux d’abstention record, l’armée algérienne a finalement décidé de faire campagne pour le vote. Pire, elle menace de représailles tous ceux qui s’opposent à ces élections.

Le 11/06/2021 à 08h41

Les élections législatives qui auront lieu ce samedi 12 juin en Algérie ont constitué la trame principale du dernier numéro de la revue militaire El Djeïch du mois de juin 2021. Dès l’éditorial, le porte-plume de la junte au pouvoir a donné le ton, en revenant sur les récentes déclarations politiques du général Saïd Chengriha, chef d’état-major, sur les élections.

En effet, durant les dernières manœuvres militaires, dites à balles réelles, tenues fin du mois de mai dernier, les élections législatives de ce 12 juin ont été érigées en leitmotiv par le chef de l’armée algérienne, qui n’a pas hésité à se montrer menaçant contre les éventuels «perturbateurs» ou boycotteurs de ces élections.

«Lors de sa dernière visite dans la 1re région militaire, le général de corps d’armée a averti ceux qui projettent de perturber les élections ou d’influer sur leur déroulement», est-il écrit dans l’édito d’El Djeïch, qui met en garde ceux qui sont appelés les «comploteurs». De même, pour éviter un taux d’abstention élevé aux législatives, comme cela est advenu lors de la présidentielle du 12 décembre 2019 et du référendum constitutionnel du 1er novembre 2020, deux votes pilotés par l’armée, El Djeich laisse entendre que Saïd Chengriha a donné l’ordre à tous les militaires algériens de voter en masse. Il annonce ainsi que «les éléments de l’armée nationale populaire s’acquitteront, aux côtés de leurs concitoyens, de ce devoir national».

L’essentiel pour le régime algérien étant d’avoir, coûte que coûte, une nouvelle chambre des députés, même avec de simples figurants novices et opportunistes, rameutés avec des enveloppes de 300.000 dinars et une immunité qui ouvre la voie à tous les dépassements.

En tentant de cacher l’implication flagrante de l’armée dans la politique, El Djeïch se rappelle de la présidentielle de 2019, pour écrire que «l’ANP ne s’est pas immiscée dans la vie politique, autant qu’elle a veillé au respect de la légitimité en barrant la route aux partisans du vide constitutionnel. Elle a appelé à l’organisation d’élections présidentielles libres et transparentes où le dernier mot est revenu au peuple qui a plébiscité Monsieur Abdelmadjid Tebboune comme président légitime».

Un «plébiscite» avec un taux de participation –officiel– au niveau national, qui s’établit à 41,41 %? C'est là le taux le plus faible de toutes les présidentielles de l’histoire de l’Algérie... Décidément, les généraux n’ont aucune limite dans leur propagande, qui fait bien rire le peuple algérien.

Une nouvelle fois, l’armée algérienne se place en première ligne politique en faisant campagne pour les législatives de ce samedi. Un vote qualifié d’«importante échéance dans l'histoire de l'Algérie qui réside dans le fait qu’il constitue une garantie pour la marche vers la réalisation du changement radical».

Ainsi, pour le porte-plume de la junte, le Hirak, qui hante toujours les généraux algériens, est indirectement accusé de faire de la résistance à ce changement. «Les tentatives d’embraser la rue, en dressant un tableau sombre de la situation et en remettant en question les réalisations, qui ont pris une dimension dangereuses ces derniers temps, sont la manifestation d’une résistance au changement», écrit El Djeïch.

C’est pourquoi, à cause de leur rôle présumé dans la mobilisation du Hirak, les islamistes de Rachad et le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), après avoir été classés, le 18 mai dernier, comme mouvements terroristes par le Haut conseil de sécurité, se retrouvent comparés par la revue El Djeïch à Dracula, un personnage-vampire de fiction, buveur de sang.

Ce rappel du sang n’est pas fortuit, puisqu’il permet au mensuel de l’armée algérienne de revisiter une nouvelle fois la décennie noire et ses 200.000 morts pour la brandir en guise d’épouvantail. «Le peuple algérien n’est pas disposé à se laisser avoir une deuxième fois, lui qui a enduré les flammes des marchands de la religion et la trahison des courtiers de la division. Aujourd’hui, il n’est pas prêt à gâcher d’autres années en prêtant l’oreille à ceux qui se prélassent sur les rives du Bosphore, qui versent des larmes devant le Mur des lamentations ou qui traitent leur rhumatisme chronique sur [sic, Ndlr] le sable de Marrakech», écrit encore El Djeïch.

Pour rappel, les menaces proférées contre les boycotteurs des élections du 12 juin ont été au menu de la dernière réunion du Haut conseil de sécurité algérien, un comité restreint présidé par le duo Tebboune-Chengriha. Cette réunion, tenue le 8 juin dernier, a été «consacrée à l'évaluation des préparatifs concernant les élections législatives du 12 juin 2021», comme le rappelle El Djeïch, qui ajoute que Tebboune a donné des instructions au ministre de l'Intérieur et aux responsables sécuritaires, à leur tête l’armée, pour tout mettre en œuvre afin d’«assurer la sécurisation de l'opération électorale». Cette fébrilité et ces menaces sont symptomatiques de la certitude de l’armée de faire face à un scrutin sans public.

Par Mohammed Ould Boah
Le 11/06/2021 à 08h41