Le 27 novembre aux alentours de 20 heures à Strasbourg, s’est ouverte dans une ambiance pesante une session plénière consacrée au débat sur «l’arrestation de l’écrivain franco-algérien, l’appel à sa libération immédiate et inconditionnelle, ainsi que la répression de la liberté d’expression en Algérie».
Contrairement aux habituels débats menés dans l’hémicycle, où s’affrontent habituellement dans des joutes verbales les eurodéputés de différents bords, l’heure était à la cohésion la plus totale. Boualem Sansal, depuis sa geôle algérienne, ne le sait peut-être pas, mais celui-ci a réussi l’incroyable pari de mettre tous les pays européens et tous les partis politiques d’accord.
Une cohésion soulignée par l’eurodéputé François-Xavier Bellamy (groupe du Parti populaire européen (PPE)) qui expliquait être satisfait de la tenue de cette réunion, «à la demande de tous les groupes parlementaires européens, montrant par là le soutien de tous les pays et de tous les partis d’Europe», mais aussi de Sarah Knafo, qui a appelé à la tenue de ce débat, et rappelle que les formations ont «rarement l’occasion d’être unanimes à défendre la même cause, une cause qui ne mérite en réalité aucun débat, mais un vote à l’unanimité».
À la tribune du parlement européen, des eurodéputés se sont succédé pendant une vingtaine de minutes, exprimant leur affliction face à l’arrestation de l’écrivain, aux motifs qui l’ont justifiée, ainsi qu’au silence persistant sur les conditions de sa détention. Dans leur propos, de la tristesse, beaucoup de colère et d’indignation. L’appel à sa libération est unanime, celui pour des sanctions contre l’Algérie porté par de nombreuses voix, ainsi que la condamnation du régime d’Alger et de ses dérives qui s’avère totale, par l’hémicycle.
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La session plénière s’est ouverte sur une allocution de la commissaire Helena Dalli qui a tenu à rappeler, en préambule des débats, la place de «partenaire» et de «voisin très proche de l’Union européenne» qu’occupe l’Algérie de longue date. Une proximité qui implique que les préoccupations doivent être abordées de façon «ouverte et franche», estime la commissaire qui rappelle que l’arrestation de l’écrivain soulève justement «bien des questions et bien des préoccupations».
Le régime d’Alger, à sa véritable place, sur le banc des accusés
La junte militaire était ce soir-là sous le feu des projecteurs, croulant sous le poids des critiques et des accusations. Pour François-Xavier Bellamy (PPE), l’arrestation de Boualem Sansal représente «un immense aveu de faiblesse pour un gouvernement que d’emprisonner celui qui a osé seulement le critiquer».
Raphaël Glucksmann, le chef de file des socialistes et Place publique, estime quant à lui que la simple phrase «Boualem Sansal est en prison», dont il souligne le caractère absurde, condamne le régime en place qu’il n’hésite pas à comparer aux dictatures historiques ayant persécuté leurs intellectuels. Et de s’interroger à juste titre: «à quel point faut-il douter de soi pour avoir si peur des mots d’un écrivain de 75 ans?» Pour l’essayiste de gauche, «le régime algérien qui l’embastille ressemble ce soir à tous ces régimes à travers l’histoire qui ont persécuté, arrêté et déporté les poètes dont les plumes et les âmes refusaient de se soumettre».
Avec beaucoup de véhémence, Marion Maréchal, du groupe Conservateurs et réformistes européens, déclare que le régime d’Alger est «guidé par sa haine de la France (…) et se comporte comme un État voyou, prêt à tout pour exercer une pression diplomatique». Dans l’arrestation de Boualem Sansal, celle-ci voit «en somme une prise d’otage qui ne dit pas son nom».
Les Verts faisaient aussi bloc pour défendre l’écrivain et accuser frontalement le régime d’Alger. Pour Marie Toussaint, du groupe des Verts, «la liberté des écrivains est le baromètre de la liberté d’un peuple», car poursuit-elle, «quand on emprisonne un écrivain, on emprisonne toute une nation, on la prive de sa pensée, de sa capacité à rêver, à questionner, à évoluer».
Ainsi, estime Toussaint, «au-delà de l’appel à la libération de Boualem Sansal, c’est un appel que nous lançons à la libération d’un peuple tout entier, le peuple algérien qui depuis des décennies étouffe. Il étouffe sous le poids d’une gérontocratie qui s’accroche au pouvoir sous un système verrouillé qui refuse d’entendre des aspirations légitimes à la démocratie, à la transparence, à une vie meilleure». Et de lancer un appel pour conclure son discours: «d’un seul et même élan, nous demandons la liberté pour Boualem Sansal et la liberté pour l’Algérie tout entière».
L’Algérie mise devant ses propres contradictions
S’agissant des accusations portées à l’encontre de Boualem Sansal, la commissaire Helena Dalli estime que si celles-ci «se basaient uniquement sur des déclarations tenues en public par Boualem Sansal, cela représenterait une attaque on ne peut plus claire contre la liberté d’expression». Or, rappelle-t-elle en interpellant les autorités judiciaires algériennes, le droit international, ratifié par l’Algérie, fait valoir les droits humains, les droits civiques et la liberté d’expression. Et d’enfoncer le clou en rappelant à l’Algérie qu’elle a été élue comme membre du Conseil des droits humains des Nations unies pour la période allant jusqu’à 2025, et qu’en tant que telle, au même titre que tous les membres du conseil, «l’Algérie doit se faire le chantre de la promotion et de la protection des droits de l’Homme».
Des contradictions soulignées par Marion Maréchal, qui rappelle dans son allocution que «pendant qu’en Algérie un écrivain est emprisonné, les hiérarques du régime continuent d’envoyer leurs enfants faire leurs études en France, et de venir se soigner dans nos hôpitaux». Une situation qu’elle qualifie d’«affront» fait à la France, appelant le pays à réagir.
Le socialiste grec Nikos Papandréou dans son intervention évoque quant à lui le cas de Boualem Sansal en parlant uniquement de la situation en Algérie, la mettant devant ses contradictions. «Nous avons un pays avec un taux d’alphabétisme assez élevé, une industrie développée, mais avec une relation schizophrénique avec la France, qui fait la révolution le matin et qui porte aux nues Anatole France le soir». L’eurodéputé souligne l’importance du respect de l’État de droit en Algérie et poursuit en s’adressant directement au régime en place: «j’aimerais rappeler qu’en 1953, le document initial de la révolution avait été rédigé par un écrivain. Revenez à vos valeurs de 1953 et ramenez ces valeurs en 2024 et à ce moment-là, on sera à vos côtés».
Les sanctions attendues de la part de l’Union européenne envers l’Algérie
Plusieurs eurodéputés ont interpellé l’Union européenne depuis l’hémicycle en appelant à des actions concrètes pour obtenir la libération de Boualem Sansal, décrit tout au long du débat comme un symbole de liberté, un protecteur des valeurs chères à l’Europe et à la France.
Xavier Bellamy estime ainsi que l’Europe a «des leviers pour agir», à commencer par les fonds européens au titre de l’aide au développement que perçoit l’Algérie. «L’Algérie entretient avec beaucoup de nos pays, et la France au premier rang, des coopérations qui lui sont infiniment favorables, mais qui sont surtout favorables à ce régime failli qui tend à exporter ses échecs plutôt que de les résoudre», a ainsi lancé l’eurodéputé. Autre mesure à entreprendre d’urgence, selon lui, côté français, mettre un terme à l’accord franco-algérien de 1968 sur les questions migratoires. «Il est temps enfin de le dénoncer comme notre famille politique le demande depuis longtemps», a-t-il jugé.
D’un ton ironique, Marion Maréchal apporte une solution radicale: «Revenons donc à de vieux usages diplomatiques et proposons à l’Algérie un échange de prisonniers. Il y a 3.500 vrais délinquants et criminels algériens dans les prisons françaises, nous sommes prêts à les échanger contre l’innocent Boualem Sansal». Et d’appeler enfin l’Union européenne et tous ses partenaires à «utiliser tous les moyens économiques et diplomatiques pour obtenir la libération de Boualem Sansal».
Dans la même veine, l’eurodéputée Mathilde Androuët, membre du groupe Les Patriotes pour l’Europe, estime que l’arrestation de Boualem Sansal relève de «pratiques barbares», car «on ne jette pas au cachot un homme en raison de ses idées, les plus déplaisantes vous semblent-elles». Appelant la France à exiger la libération de l’écrivain, l’eurodéputée rappelle qu’il est «aussi de la responsabilité de l’UE de soutenir l’initiative diplomatique française, y compris en proposant de suspendre les centaines de millions d’euros prévus dans le cadre du programme d’association UE-Algérie».
Pour elle, «le chantage et la victimisation d’un pays qui n’a de cesse de fouler la dignité française ont assez duré. Le temps des colonies est fini, reprenons chacun notre indépendance». Et de brandir la Une du dernier numéro de Charlie Hebdo dont le titre est sans équivoque: «Algérie, reprenez vos imams, rendez-nous vos écrivains».
La position intenable de l’eurodéputée franco-algérienne Malika Sorel
Au cours du débat, l’eurodéputée Malika Sorel, du groupe Les Patriotes pour l’Europe, occupait assurément la position la plus difficile à tenir. Franco-algérienne, tout comme celui qu’elle qualifie de «frère» et d’ «ami» qui n’a jamais «ressenti une once de haine envers quiconque et encore moins envers l’Algérie et les Algériens qu’il aime profondément», Malika Sorel, figure du Rassemblement national, a apporté une explication singulière à l’arrestation de Boualem Sansal. «Ce qui lui arrive repose sur un terrible malentendu que nous devons réussir à lever», déclare-t-elle ainsi contrastant avec les discours de son propre groupe, et pointant du doigt «ceux qui aujourd’hui tentent d’utiliser ce drame pour exprimer leur hostilité envers l’Algérie et les Algériens (et qui) desservent la cause de Boualem Sansal».
L’eurodéputée a insisté sur ce point en appelant «chacun à la retenue afin de ne pas entraver et compromettre les efforts qui sont actuellement déployés pour lui venir en aide». Et de finir son allocution ambigüe en s’adressant à Boualem Sansal tout en réprimant ses sanglots: «Boualem, ici au parlement européen, nous pensons très fort à toi. Nous formons le vœu que les autorités politiques de l’Algérie, cette si belle terre que j’ai connue, sauront prôner la réconciliation et saisir la main qui leur est tendue pour bâtir ensemble un avenir meilleur pour tous.»
La prudence du parlement européen vis-à-vis d’Alger
La commissaire Helena Dalli a conclu le débat sur un message d’espoir en s’appuyant sur la récente libération, le 1er novembre, du journaliste algérien Ihsane El Kadi, qui avait également fait l’objet du soutien du parlement européen au printemps dernier, y voyant «un signal positif» et laissant entendre que la pression diplomatique européenne pourrait porter ses fruits. Pour rappel, l’homme de médias, figure du dernier bastion de la presse indépendante en Algérie, avait été incarcéré en 2022, condamné à sept and de prison pour «financement étranger de son entreprise» dans le but «de se livrer à des activités susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’État».