Leipzig, je ne vous apprends rien, est une ville d'Allemagne, plus précisément du Land de Saxe. Autrefois perle de la RDA, Leipzig s’est réinventée après la réunification grâce à l’implantation de grandes entreprises comme Siemens, Porsche ou BMW. Sa célèbre Foire du Livre…
Vous m’interrompez: «Tu es devenu agent touristique?»
Attendez, si je vous parle de Leipzig, c’est qu’il m’y est arrivé quelque chose d’instructif il y a quelques jours. J’y séjournais à l’invitation d’un grand professeur de littérature francophone, Alfonso de T., dont l’érudition n’a d’égale que la gentillesse. Le lendemain de notre colloque, le professeur tint à me faire visiter un des endroits les plus importants, du point de vue historique, de sa ville d’adoption: la cave d’Auerbach, ou Auerbachs Keller pour ceux qui préfèrent la version originale. Au 16e siècle, c’était déjà l’une des tavernes les plus courues de la ville. Goethe y venait volontiers boire un verre, ou plutôt une chope de bière. Quand il rédigea son célèbre Faust, il en fit la première étape des voyages de Méphistophélès et de Faust. Le grand réformateur protestant Martin Luther s’y réfugia un temps, incognito. D’autres célébrités de l’Histoire allemande ont lié leur nom à la taverne d’Auerbach: Leibniz, Bach, Wagner, etc. (excusez du peu…).
Bref, Alfonso tenait à me faire visiter l’endroit. Problème: il était fermé. Qu’à cela ne tienne: le professeur étant une personnalité connue à Leipzig, il donna quelques coups de téléphone et, bien vite, la société qui gère ce lieu historique nous envoya un de ses employés, un jeune homme grand, élégant, très compétent, qui nous fit faire une visite complète de l’endroit en l’agrémentant de commentaires judicieux délivrés dans un allemand de haute volée. A l’entendre, on aurait pu croire qu’il avait dîné avec Goethe la veille et joué aux cartes avec Martin Luther, tant il parlait avec aisance de ces deux lascars. Et il connaissait toutes les dates, tous les noms… À la fin de la visite, comme je le remerciais avec effusion, le jeune homme me demanda d’où je venais. Du Maroc, lui dis-je. Son visage s’éclaira et il me rétorqua en darija avec l’accent de Casa:
- H’t’ana maghribi! Ould l’Hay l’Mohammadi… S’miyti Mounir B…
Quelques minutes plus tard, nous étions les meilleurs amis du monde et il m’avait raconté toute sa vie. Fils du peuple, père ouvrier, mère analphabète, Mounir décrocha par miracle une bourse pour Leipzig vers l’an 2000, apprit l’allemand en un an en bûchant comme un fou, enchaîna avec des études d’économie couronnées par un beau diplôme et fut embauché dans la foulée, car polyglotte (arabe, français, anglais, allemand…), par la société qui l’emploie encore.
- Un bel exemple d’intégration, conclut le professeur Alfonso, qui avait plus ou moins suivi notre discussion. Dommage qu’on ait tant parlé des voyous marocains qui avaient agressé des femmes à Cologne, il y a quelques mois, au lieu de parler de gens comme vous.
- Des gens comme moi, rétorqua Mounir, qui travaillent toute la journée puis rentrent chez eux s’occuper de leur famille, ça n’intéresse pas les journalistes.
Voilà une injustice réparée, grâce à Le360. Longue vie et belle carrière, herr B… !