Une prétendue affaire d’espionnage au profit du Mossad israélien a sous-tendu cette infox qui n’est ni innocente, ni venue de nulle part. A l’image des gangs, les officines qui s’entredéchirent au sommet de l’entité algérienne ont choisi d’agir dans l’obscurité. En pleine nuit, mardi 20 juin, un tweet du média Ennahar annonce, sur la base d’une source autorisée, que «l’Algérie a demandé à l’ambassadeur des Emirats de quitter le territoire national. Un délai de 48 heures lui a été donné pour quitter l’Algérie. Cette décision d’expulsion intervient suite à l’arrestation de 4 ressortissants émiratis qui espionnaient pour le compte des services du Mossad, relevant de l’occupant israélien. Ces espions ont tenté d’accéder à des secrets et informations sur l’Algérie. Le ministère des Affaires étrangères regrette ces comportements irresponsables et vils qui ciblent l’Algérie».
Ce tweet d’Ennahar, qui a fini par être retiré une heure seulement après sa publication, ne pouvait être diffusé, dans un pays aussi liberticide que l’Algérie, sans qu’il n’ait émané d’une source autorisée. Autrement dit, dans l’Algérie nouvelle, seuls les différents services de l’armée, de la présidence algérienne et, dans une moindre mesure, une source gouvernementale alimentent une presse entièrement aux ordres du pouvoir, qu’il s’agisse de médias publics ou privés.
Lire aussi : Les non-dits des nouveaux changements à la tête des services du renseignement algérien
Il est donc clair qu’Ennahar a été mandaté par une source autorisée, qu’il a identifiée mais sans la citer, afin de mettre en ligne la vraie information concernant la fausse expulsion de l’ambassadeur émirati à Alger. Or, vu la panique de la présidence algérienne, qui a sacrifié un ministre, et le démenti quasi immédiat et simultané du ministère des Affaires étrangères, puis la «disparition» du tweet d’Ennahar une heure seulement après sa publication, les regards se sont tournés vers les «services» relevant de l’armée algérienne. Or cette dernière étant un super-pouvoir, c’est le ministre de la Communication, Mohamed Bouslimani, qui va en faire les frais en étant limogé dans la foulée par Abdelmadjid Tebboune, en pleine nuit également. Mais est-ce de la faute de Bouslimani si un média appartenant à un groupe privé publie une information sur la foi de ses propres sources? A-t-il servi de fusible pour cacher la guerre que se livrent les clans au sommet du pouvoir algérien? D’ailleurs, l’on se demande combien de pilotes tiennent les manettes de l’avion Algérie? Quatre, cinq ou six? Ce qui est sûr, c’est que chacun d’eux a un plan de vol différent des autres.
Ce scandale qui a ciblé l’ambassadeur émirati à Alger est révélateur de vives dissensions entre les clans qui tiennent le «système» que les auteurs du récent livre, «Le mal algérien», qualifient de «tripode», à savoir la présidence, l’armée et les services de renseignements.
Lire aussi : Limogeages à la pelle en Algérie: Tebboune instaure un mode de gouvernance basé sur des réactions épidermiques
En tout état de cause, ce qui vient de se passer apporte la preuve d’un pays gangréné de l’intérieur, un «Etat voyou», selon l’expression de Noureddine Boukrouh, ancien collègue d’Abdelmadjid Tebboune au sein des différents gouvernements de l’ère Bouteflika, un pays gouverné par des gangs.
A titre d’exemple illustrant cette cacophonie au sein du «tripode», on peut citer les dissensions au sein même de l’armée entre les partisans d’un rapprochement avec la France, menés par le patron des renseignements extérieurs, le général Djebbar Mhenna, et ceux, comme le chef d’Etat-major de l’armée, le général Said Chengriha, qui ne veulent pas prendre le risque de déplaire à un allié de longue date, la Russie.
Quel que soit le clan qui est derrière cette infox d’Ennahar, il est étonnant de remarquer que ce média n’a jusqu’ici pas été inquiété pour diffusion de fausses informations, un crime sévèrement puni par la loi algérienne. Ce média n’a pas non plus apporté un démenti, ni fait son mea culpa compte tenu des dégâts, directs ou collatéraux, qu’il a pu ou va causer avec son éphémère tweet.
Lire aussi : L’Algérie: un pays dirigé par l’Armée
Cela, d’autant plus que les Emirats arabes unis ne sont pas du genre à être provoqués à la légère, surtout pas par la junte algérienne. Cette dernière n’est pas sans savoir que les secrets les plus sensibles du pays, qu’ils soient militaires, politiques ou économiques, sont entre les mains des autorités d’Abu Dhabi.
En effet, tout le monde se rappelle que Guermit Bounouira, ancien secrétaire particulier et boîte noire de l’ancien patron de l’armée algérienne jusqu’à sa mort, Ahmed Gaïd Salah, a d’abord fui vers les Emirats en 2020, où il a été pressé comme un citron avant de le laisser partir vers la Turquie où les «services» turcs ont fait de même, et puis l’ont extradé vers l’Algérie.
Abdelmoumen Ould Kaddour, l’ancien PDG de Sonatrach, Etat dans l’Etat algérien, a fait une longue cavale aux Emirats, où il a vidé lui aussi son sac avant d’être remis aux autorités algériennes.
Plus grave, les Emirats, accusés aujourd’hui d’espionner l’Algérie au profit du Mossad, sont un important marché où l’Algérie se procure sous le manteau de l’armement israélien, surtout des pièces détachées, en vue d’améliorer les piètres performances de ses avions et chars achetés à coups de centaines de milliards à la Russie.
Lire aussi : Algérie. Saïd Sadi: comment la guerre des clans risque de torpiller tout un pays
Cela sans parler des lingots d’or avec lesquels les Emiratis corrompaient régulièrement la nomenklatura algérienne, selon les aveux mêmes de l’ancien Premier ministre, Ahmed Ouyahya, actuellement en prison.
S’il y a donc un pays qui sait à quel point le régime algérien est pourri jusqu’à la moelle, c’est bien les Émirats.
La source autorisée qui a donné l’information à Ennahar rappelle ce qui s’est passé il y a quelques jours quand deux journaux à la solde de la junte, El Khabar et L’Expression, ont annoncé une réunion secrète entre les services de renseignements de la France, d’Israël et du Maroc à Tel-Aviv en vue de déstabiliser l’Algérie. Le même mode opératoire a été appliqué dans l’information ébruitée par Ennahar avant d’être démentie par le ministère des Affaires étrangères. Cette fois-ci, Tebboune n’a pas voulu laisser un clan dans l’armée lui forcer la main ou prendre l’initiative. Résultat: une guerre de gang en pleine nuit durant laquelle le ministre de la Communication a reçu une balle perdue. Cette guerre s’annonce dure et périlleuse pour le Système qui lave désormais son linge sale en public.