Guerre des mots et des postures entre Paris et Alger

Mustapha Tossa.

ChroniqueIl est hors de question que le chef du renseignement extérieur français se déplace en Algérie sans évoquer l’affaire la plus effervescente entre les deux pays, celle de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Emmanuel Macron et son gouvernement en ont fait une cause nationale. De sa résolution dépend largement la possibilité d’une réelle baisse de tension entre les deux pays.

Le 20/01/2025 à 16h01

Il y a une impression apparente que la crise entre Paris et Alger serait en train de perdre de son intensité. Impression confortée par la visite en Algérie du patron de la DGSE française, Nicolas Lerner, et sa rencontre avec ses homologues algériens. Une rencontre dont l’efficacité passait par une fuite médiatique organisée de cette visite pour suggérer que les deux pays se parlent en dehors des polémiques diplomatiques à répétition.

Cette réception a en tout cas été un signal adressé par le régime d’Alger à Paris sur sa volonté de calmer les ardeurs punitives de la France dans le sillage de cette tension inédite entre la France et le régime algérien. Il est hors de question que le chef du renseignement extérieur français se déplace en Algérie sans évoquer l’affaire la plus effervescente entre les deux pays, celle de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Emmanuel Macron et son gouvernement en ont fait une cause nationale. De sa résolution dépend largement la possibilité d’une réelle baisse de tension entre les deux pays.

Pour le président Abdelmadjid Tebboune, l’affaire Sansal ressemble, pour reprendre une métaphore arabe, à un couteau qu’il s’est enfoncé dans la gorge. Il ne peut ni l’avaler, sous peine de provoquer un isolement international, ni le sortir, sous peine de provoquer une hémorragie interne.

Dans tous les cas, la reprise du dialogue entre Français et Algériens par le canal des services de renseignement n’est pas le fruit du hasard. Elle intervient après la menace explicite formulée de la manière la plus limpide par l’actuel ministre de la Justice Gérald Darmanin, ancien détenteur du portefeuille de l’Intérieur. Celle qui consiste à imposer des visas aux passeports diplomatiques et d’évoquer entre les lignes la piste des biens algériens mal acquis en France. Une manière d’exercer une pression maximale sur la nomenklatura politico-militaire algérienne et ses proches.

Cette crise entre Paris et Alger a été une occasion de révéler de véritables fractures de la société française sur la question algérienne. Si aiguës que le spectre politique s’est spectaculairement divisé sur la manière de la traiter. L’affaire des influenceurs activistes algériens, accusés de répandre une parole de haine, de violence et de terrorisme, a provoqué des envolées sémantiques d’une rare violence. Les exemples qui nourrissent abondamment les réseaux sociaux ne manquent pas. Tandis que Sarah Knafo, députée européenne du mouvement Reconquête dirigé par l’ultra-droitier Éric Zemmour, perçoit ces individus comme «des bombes sur pattes». Une manière de souligner leur dangerosité structurelle. Sarah Knafo le précise dans le contexte: «Il faut évidemment expulser les délinquants, criminels et fichés S étrangers. Nous n’avons aucune raison de garder des bombes sur pattes sur notre sol».

«Une partie de la gauche française, dans son versant extrême, minoritaire mais agissante, cultive une éternelle utopie sur une Algérie fantasmée.»

Ce à quoi Marine Tondelier, la patronne des verts français, a répondu en commentant la décision de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, d’expulser un des influenceurs, Doualem, qu’il ne faut pas traiter les gens comme «des colis de La Redoute». La citation de Marine Tondelier, dans son entièreté, vaut le détour: «Quand vous avez un ressortissant d’un pays, que vous voulez le renvoyer dans son pays, ça se fait avec l’accord du pays. Les gens ne sont pas des colis La Redoute. Vous ne pouvez pas dire: tiens, je l’envoie, retour à l’expéditeur.»

Les deux formules, plus clivantes l’une que l’autre, reflètent les fractures de la société française sur la question algérienne. D’un côté, une perception de danger imminent, incarnant un torrent de clichés négatifs, avec des raccourcis et des formules à provoquer un courant électrique. De l’autre, une forme de déni absolu, d’autisme assumé à travers une vision sélective avec d’étanches œillères. Les droites (classique et extrême) veulent un discours de vérité et de réalisme sur l’Algérie et son régime autoritaire. Tandis qu’une partie de la gauche, dans son versant extrême, minoritaire mais agissante, cultive une éternelle utopie sur une Algérie fantasmée.

Ce n’est donc pas un hasard si, dans sa réplique à cette crise entre Alger et Paris, le régime algérien a volontairement voulu cantonner ses enjeux aux lubies d’une extrême droite prisonnière de ses rêves avortés d’une Algérie éternellement française. Cela permet d’invoquer les affres du passé, de mobiliser sur une haine coloniale et de ne pas affronter les propres échecs de la gouvernance algérienne indépendante.

Une partie de la gauche, notamment issue de La France insoumise, s’est donné pour mission de défendre le régime d’Alger et de lui trouver des excuses dans son bras de fer avec les autorités françaises. Pire, elle a entamé un plaidoyer pro-algérien qui se veut avant tout un règlement de comptes politique en interne avec son adversaire de droite. À gauche, cette crise franco-algérienne a révélé les relais français du régime d’Alger à Paris. Une niche d’extrême gauche prête à vendre toutes les chimères, à faire avaler toutes les couleuvres pour excuser le comportement agressif des autorités algériennes.

Par Mustapha Tossa
Le 20/01/2025 à 16h01