Après la réélection du président Emmanuel Macron en 2022, le spectre d’une France difficilement gouvernable surgissait déjà, avec le risque que les trois grandes forces issues des législatives -la majorité relative autour du parti présidentiel Renaissance, l’arrivée en force du Rassemblement national de Marine le Pen et la coalition de gauche Nupes- en viennent à se neutraliser.
Jusqu’ici, le gouvernement a réussi à faire passer de nombreuses lois en s’appuyant au cas par cas sur l’opposition ou en recourant à l’article 49.3 de la Constitution qui lui permet de contourner le vote parlementaire. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait une vingtaine de fois pour passer en force, notamment lors de la réforme des retraites l’an dernier.
Mais le rejet spectaculaire le lundi 12 décembre du projet de loi sur l’immigration par les députés de gauche, de droite et d’extrême droite coalisés, constitue un nouveau tournant. Pour Céline Bracq, directrice générale de l’institut de sondages Odoxa, ce «moment critique» peut même aboutir à «une crise politique majeure».
«Le président s’est vraiment mis dans la nasse», estime-t-elle, constatant qu’il n’avait jamais tiré toutes les leçons de l’absence de majorité absolue. Les passages en force liés au 49.3 ont donné lieu à «des oppositions vindicatives qui se liguent contre lui», alors même que les deux tiers des Français sont favorables au texte sur l’immigration, relève la sondeuse.
Pour l’entourage d’Emmanuel Macron, s’il y a eu «manifestement un blocage» lundi, c’est la faute aux oppositions, et particulièrement au Parti socialiste et aux Républicains (LR, droite), dont le président a dénoncé «le cynisme» et «l’incohérence». Surtout, «ça ne signifie pas que ce blocage est indépassable».
«Toujours plus de droitisation»
Cet épisode est pourtant symptomatique, selon Luc Rouban, du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), en ce qu’il confirme l’échec de la majorité à «vouloir à tout prix dépasser les clivages droite-gauche pour une sorte d’efficacité de gestionnaire».
Pour tenter de satisfaire les uns et les autres, le projet de loi reposait en effet sur «deux jambes», avec d’un côté un volet répressif sur l’expulsion des étrangers jugés dangereux et de l’autre la promesse de régulariser certains travailleurs dans les métiers en tension comme la restauration.
Son rejet dans l’hémicycle oblige désormais le gouvernement à d’intenses manœuvres de négociations avec la droite, dont le soutien est indispensable, avant la réunion lundi d’une commission mixte paritaire qui réunira sept députés et sept sénateurs, pour tenter de s’accorder sur une version durcie du texte.
«On voit bien que la mécanique s’est grippée et que le gouvernement est dans l’impasse», note M. Rouban, pour qui le «grand gagnant à court terme» est le parti d’extrême droite RN, qui s’impose peu à peu comme «force politique de référence» en poussant la droite traditionnelle comme la majorité à «toujours plus de droitisation». Comme ailleurs en Europe, où les leaders populistes sont en progression, «on avance a grands pas vers une forme de polarisation sur les questions de l’identité et de la religion», rappelle-t-il.
«Le macronisme est mort»
Pour les experts interrogés, l’exécutif dispose donc de peu d’options pour mener à bien ses ambitions réformatrices d’ici la fin de son quinquennat, en 2027. Un remaniement ministériel ne débloquerait pas les obstacles au Parlement, et Emmanuel Macron lui-même a écarté l’hypothèse d’une dissolution de l’Assemblée, très risquée pour la majorité en cas de législatives anticipées.
«Reste une seule option» au gouvernement français, selon le politologue: «se droitiser davantage et retrouver les faveurs des Républicains (LR) qui luttent eux-mêmes pour leur survie face au RN». Au risque de faire imploser la majorité actuelle, en provoquant l’ire de son aile gauche et centriste? «Le temps du “ni, ni” ou du “en même temps” est fini», estime M. Rouban: «Le macronisme est mort».