Le rapport de force entre la France et l’Algérie, le vrai, est engagé. Hier, lundi 17 mars, le ministre français de l’Intérieur a annoncé l’abrogation de l’exemption de visas dont bénéficiaient jusqu’ici les apparatchiks algériens détenteurs, au même titre que leurs familles et proches, de passeports diplomatiques. Cette annonce intervient après la fin de non-recevoir opposée le même lundi par Alger à une liste d’Algériens expulsables fournie par Paris.
Elle entre dans le cadre d’une «riposte graduée» comme l’a décidé le Comité interministériel sur l’immigration, réuni le 26 février sous la présidence du premier ministre Bayrou. Cela signifie, dans un premier temps, la «suspension des accords de 2007 pour l’exemption de visa aux détenteurs de passeports diplomatiques», a précisé le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau sur France Inter.
Pour la junte au pouvoir et ses subordonnés, c’est la fin d’un immense privilège. Censé être délivré au compte-gouttes aux seuls diplomates et affiliés, dans le cadre strict de l’exercice de leurs fonctions, le passeport diplomatique est devenu, en Algérie, un gâteau géant que se partagent tous les tenants, petits et grands, du pouvoir ainsi que les leurs. Avec, en prime, la possibilité de résider, faire son shopping, se faire soigner et profiter de nombreux autres privilèges, sans avoir besoin d’un visa. Cette rente, le «Système» en a même fait un outil de pouvoir, utilisé pour rétribuer ses fidèles et sanctionner, en les privant du sésame, les récalcitrants.
La première d’une longue série
D’autres décisions sont d’ores et déjà dans le pipe. Une d’elles consistera à réduire les visas de travail pour les Algériens, comme l’a indiqué ce mardi la ministre française du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet (Voir vidéo à partir de 8:10).
Par ailleurs, «le traité de 1968 dont on a parlé montre que l’Algérie bénéficie aujourd’hui d’exonérations exceptionnelles qui pouvaient se justifier quelques années après les accords d’Évian (qui définissent les conditions de l’indépendance de l’Algérie, NDLR) mais qui ne se justifient plus aujourd’hui», a-t-elle ajouté.
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Ministre français de la Justice, Gérald Darmanin, lui, a plaidé pour le rappel de l’ambassadeur français en Algérie. En d’autres termes, pour durcir le ton contre Alger.
Lundi, Alger a une fois de plus convoqué, pour la cinquième fois en trois mois, l’ambassadeur ou le chargé d’affaires de l’ambassade. Cette fois, c’est le chargé d’affaires qui a été appelé. Motif, tel que publié dans un communiqué des Affaires étrangères algériennes: lui signifier le niet catégorique d’Alger à la liste d’Algériens expulsables fournie par Paris ces derniers jours, réitérant son rejet «des menaces, velléités d’intimidation, injonctions et ultimatums» venant de France. «Les autorités algériennes ont décidé de ne pas donner suite à la liste soumise par les autorités françaises», lit-on. Une liste comprenant une soixantaine de noms d’Algériens à expulser et remise vendredi 14 mars au chargé d’affaires de l’ambassade d’Algérie en France.
Les arguments avancés par la diplomatie algérienne tiennent davantage de la posture politique que du droit. Comprenez que sur la forme, Paris ne pouvait pas unilatéralement et à sa seule discrétion remettre en cause le canal traditionnel de traitement des dossiers d’éloignement. Sur le fond, les accords de 1974 et 1994 restent «le cadre de référence principal en matière consulaire entre les deux pays», proteste le ministère algérien des Affaires étrangères. Or l’accord de 1994 prévoit la réadmission en Algérie d’expulsés titulaires d’une simple pièce d’identité en cours de validité. Et c’est ce que martèle le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau depuis le début de la crise.
La crise la plus grave depuis l’indépendance de l’Algérie
Le régime d’Alger semble ne pas prendre au sérieux la détermination de la France à engager un rapport de force. La légèreté, feinte ou forcée, du régime voisin dans son bras de fer avec Paris, à coups de communiqués plus stériles les uns que les autres et de ridicules convocations d’ambassadeur, a de quoi étonner. Pendant que la France met à exécution ses menaces, Alger semble continuer de ne pas y croire, allant jusqu’à imputer la crise à la seule personne de Bruno Retailleau. Et alors que la crise que traversent les deux pays est la plus grave depuis l’indépendance algérienne, avec, au bout, la possibilité d’une remise en cause de tous les accords conclus, le régime militaro-policier de l’Est est plus que jamais arc-bouté dans le déni. Sans pour autant disposer d’autres ressorts que de la pure agitation.
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Pendant ce temps, les relations entre la France et l’Algérie ne cessent de se dégrader, et le point de non-retour n’est pas une vue d’esprit. Si tout a commencé avec l’appui ferme exprimé en juillet dernier par le président Emmanuel Macron à la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, le refus de l’Algérie d’accepter plusieurs ressortissants sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), dont l’auteur d’un attentat meurtrier à Mulhouse le 22 février, n’a rien arrangé. Idem pour l’affaire Boualem Sansal, écrivain de 80 ans, gravement malade et toujours embastillé de façon arbitraire par le pouvoir algérien. En y ajoutant cette authentique bêtise avec laquelle les caciques d’Alger gèrent cette crise majeure, à coups de slogans creux contre la France, de fuites en avant et d’un manque total d’initiative, on mesure toute l’incurie d’un régime dépassé par l’ampleur de la crise.
Le régime algérien est désemparé par le rapport de force publiquement assumé par le gouvernement français. Il faut dire que ce régime n’est absolument pas habitué à un rapport de force et encore moins à des ultimatums, adressés par l’ancien pays colonisateur qui l’a doté d’un vaste territoire en amputant les pays voisins, dont le Maroc, lui a offert un Sahara qu’il n’a jamais possédé et l’a même baptisé, en 1839, du nom qu’il porte encore aujourd’hui.
«Désormais, c’est la ligne dure vis-à-vis de l’Algérie qui prime. Elle est portée par les faucons d’une droite totalement décomplexée par rapport au passé, alors que l’Algérie ne dispose que de ce même passé comme atout. Plus de 63 ans après l’indépendance, la France d’aujourd’hui est dirigée par une nouvelle génération politique qui ne se sent nullement responsable du temps révolu de la colonisation», expliquait récemment pour Le360 le politologue Mustapha Sehimi. Les leviers, comme la martyrologie et la rente mémorielle, qui sanctuarisaient jusque-là le régime d’Alger, semblent désormais bien émoussés. On imagine donc aisément la stupeur du voisin. La peur panique suivra.
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