Face à l’effervescence régionale, Ankara poursuit un rapprochement prudent avec les Kurdes

Des gens roulent sur une moto alors qu'une épaisse fumée s'élève d'une installation d'extraction de pétrole ciblée par des bombardements turcs près de la frontière nord-est de la Syrie avec la Turquie, dans la campagne de Qahtaniyah, à l'extrême nord-est de la province de Hasakeh, le 25 octobre 2024. AFP or licensors

Le gouvernement turc cherche l’apaisement avec les mouvements kurdes face aux menaces qui pèsent sur la région, malgré l’attentat revendiqué cette semaine par le PKK qui semble relever d’un hasard de calendrier, estiment les experts.

Le 27/10/2024 à 06h57

Le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) a assumé vendredi l’opération contre le siège des Industries de Défense de Turquie (TAI) qui a fait, mercredi, cinq morts et 22 blessés, mais a pris soin, de façon inédite, de s’en distancier en affirmant qu’elle n’a rien à voir avec le processus entamé par le pouvoir.

L’attaque, a expliqué le PKK sur sa chaine Telegram, était «planifiée de longue date» pour envoyer «des avertissements et des messages au gouvernement turc, contre ses pratiques génocidaires».

Si le gouvernement a répliqué en bombardant une cinquantaine de cibles de cette organisation dans le nord de la Syrie et de l’Irak, il n’en venait pas moins, la veille, de tendre la main à son chef historique, Abdullah Ocalan, emprisonné depuis 1999, via un membre éminent de la coalition au pouvoir.

Pour Hamit Bozarslan, un spécialiste du mouvement kurde, joint à Paris par l’AFP, «une partie du pouvoir souhaite ouvrir un dialogue avec le mouvement kurde, surtout dans l’hypothèse d’une dégradation de la situation régionale et d’une fragilisation de l’Iran (qui auraient) des impacts certains sur l’Irak et la Syrie».

Dissolution contre libération

Mardi, le président du parti MHP (nationaliste) Devlet Bahçeli, le principal allié du parti AKP au pouvoir, a invité Abdullah Ocalan, 75 ans, condamné à l’isolement à vie, à s’exprimer devant le Parlement pour annoncer la dissolution du PKK en échange de sa libération.

Le patron du MHP a renchéri samedi en affirmant que «les Turcs et les Kurdes s’aiment, c’est une obligation à la fois religieuse et politique pour les deux parties».

Autre signe de détente, le jour même de l’attaque mercredi, le neveu de Ocalan a été autorisé à lui rendre visite sur son île-prison, au large d’Istanbul, pour la première fois en «quarante-trois mois» a précisé Omer Ocalan, un député du parti pro-kurde Dem.

La classe politique s’est empressée de relever, comme l’a fait le ministre de l’Économie Mehmet Simsek devant le Brookings Institute à Washington, que, dans un tel contexte, l’attentat de mercredi «ne pouvait être une coïncidence».

L’opération pose néanmoins la question du leadership d’Ocalan après plus de 25 ans de prison.

Pour Hamit Bozarslan, malgré le temps qui passe, «Ocalan, reste l’acteur de référence» susceptible de «peser sur le ou les processus» engagés.

Mais, «sans contact organique» avec son mouvement, analyse Yektan Turkyilmaz, un universitaire travaillant en Autriche qui met en exergue l’hétérogénéité du mouvement kurde, «il lui sera très difficile d’imposer un plan approuvé par le gouvernement».

«Ocalan se trouve certainement dans la pire situation de sa carrière», poursuit-il. «Parce qu’il n’a jamais eu auparavant besoin de mobiliser ou de convaincre ses partisans en faveur d’une solution politique, pacifique ou d’une réconciliation» avec les autorités.

«Mais on peut dire la même chose pour le gouvernement», ajoute le chercheur, tandis que l’opinion publique n’est pas forcément favorable à un accord avec le PKK et que les ultraconservateurs y restent très hostiles.

Cette main tendue s’explique, selon les observateurs, par la situation régionale incandescente et le risque redouté et exprimé par Ankara de voir la guerre dans la bande de Gaza et au Liban s’étendre.

Le gouvernement turc essaie de «renforcer son front intérieur pour faire face au défi régional lancé par Israël», mais il voit surtout «l’opportunité» d’enlever la pression à sa frontière avec la Syrie, alliée de l’Iran, avance Yektan Turkyilmaz.

Après les frappes israéliennes sur l’Iran de la nuit de vendredi à samedi, la Turquie a appelé à «mettre fin à la terreur créée par Israël dans la région menée (...) au bord d’une plus grande guerre».

Par Le360 (avec AFP)
Le 27/10/2024 à 06h57