"Respectez-vous mutuellement, ne remettez pas en cause la légitimité des uns et des autres! Assurez-vous que les réunions ou conversations ne sont pas enregistrées! Utilisez un langage approprié, évitez les injures et attaques personnelles!".
Ces quelques "consignes de base", contenues dans un document remis par le médiateur de l'ONU Staffan de Mistura aux belligérants, racontent en creux l'animosité et la défiance entre les deux parties, après six ans d'un conflit dévastateur et plusieurs tentatives de négociations avortées.
Cette tension était palpable dès le soir de l'ouverture officielle des pourparlers, jeudi, dans une grande salle du Palais des Nations de Genève. La délégation du régime, menée par l'ambassadeur syrien aux Nations Unies Bachar al-Jaafari, faisait face à celle de l'opposition, conduite par le cardiologue Nasr al-Hariri. Entre les deux, l'habituellement souriant Staffan de Mistura appelait solennellement les deux parties à faire preuve de "responsabilité historique" pour mettre fin au conflit.
"Jaafari avait une attitude de défi, les bras croisés, il nous toisait littéralement", raconte un diplomate occidental. La délégation du régime n'a pas applaudi et a quitté la salle immédiatement à la fin du discours de Staffan de Mistura.
Du côté de l'opposition, le clash diplomatique a été évité in extremis. Furieux de voir que Staffan de Mistura avait convié les groupes dits du Caire et de Moscou (des opposants considérés comme proches de la Russie), des membres de la délégation de l'opposition du HCN (Haut comité des négociations) voulaient boycotter la cérémonie, ce qui aurait envoyé un signal désastreux pour les négociations.
"Il y a eu de fortes pressions des envoyés spéciaux des pays qui soutiennent l'opposition. Britanniques, Allemands, Français, Emiratis, Danois, Suédois, Turcs... Ils les ont poussés à participer à la cérémonie", raconte une source de l'opposition.En coulisses, effectivement,, les représentants des pays impliqués directement ou indirectement dans le conflit veillent au grain. Ils "conseillent" leurs protégés respectifs. Côté opposition, on retrouve la plupart des pays occidentaux et arabes. Côté régime, les puissants alliés russe et iranien.
Dans le premier camp, l'envoyé spécial américain Michael Ratney, nommé sous l'Administration Obama, est toujours présent. Mais la plupart de ses collègues s'interrogent toujours sur ce que va être la politique de l'Administration Trump vis à vis de la Syrie.
En outre, conseiller l'opposition "n'est pas toujours simple, ça part un peu dans tous les sens", selon une source proche des négociations. Le HCN, qui regroupe à la fois des politiques et des militaires représentant les groupes armés sur le terrain, est souvent divisé sur la tactique à adopter face à un régime qui, lui, ne dévie pas de sa ligne.
Côté régime, le grand allié russe s'est exprimé le jour de l'ouverture des pourparlers de Genève. Le président Vladimir Poutine a souligné que l'objectif de Moscou en Syrie était de "stabiliser le pouvoir légitime" et terrasser le terrorisme.
Son envoyé spécial à Genève a prévenu que vouloir enlever le pouvoir à Bachar al-Assad, comme le demande l'opposition, était absurde.
Et après l'attentat de Homs samedi qui a visé les services de renseignement syrien, la délégation de Damas a répété que priorité devait être donnée à la lutte contre le terrorisme dans les pourparlers de Genève. L'opposition l'a immédiatement accusée de manoeuvre dilatoire pour ne pas entrer dans les discussions sur la transition politique.
"On retombe toujours dans les mêmes schémas", soupire le diplomate occidental, en référence aux précédentes sessions de négociations, début 2016, qui ont toutes achoppé sur ces mêmes problèmes.
C'est dans cette atmosphère plombée que l'émissaire de l'ONU, Staffan de Mistura, sous forte pression, tente d'amener les parties à s'engager dans des discussions de fond.
"Il essaye d'éviter les psychodrames. Il est dans une situation d'équilibriste permanente et tout le monde lui tombe dessus. C'est très difficile", admet la source occidentale.