Alors que la crise s'accentue de jour en jour, les Catalans se sentent divisés, pris entre deux feux et tenaillés par l'incertitude, selon différents témoignages recueillis par l'AFP. C'est ce que constate le psychanalyste José Ramón Ubieto. Il assure que de nombreux patients ont consacré des séances entières à la crise entre le gouvernement de Mariano Rajoy et les séparatistes catalans, qui menacent de faire sécession depuis le référendum d'autodétermination interdit le 1er octobre.
"Les enfants aussi. L'autre jour, poursuit-il, une petite fille m'a dit que la mère d'une autre enfant lui avait demandé si elle était du côté des gentils ou des méchants, après les charges policières", qui ont émaillé la tenue du référendum.
Ce jour-là, la télévision publique de Catalogne avait diffusé en boucle des images qui resteront pour longtemps dans la mémoire des Catalans: personnes âgées chahutées ou blessées, militants frappés à coups de matraque, manifestants tirés par les cheveux...Et même si certains couples et familles disent bien gérer les désaccords, d'autres ne s'en tirent pas si bien.
Comme les enfants de divorcés tiraillés entre père et mère, les Catalans vivent de véritables conflits de loyauté, explique le psychiatre. "Il y a un conflit de loyautés, de gens qui ne savent pas vraiment comment se positionner, parce que les parents peuvent être unionistes ou pour le respect de la Constitution espagnole, tandis que leurs frères et soeurs sont indépendantistes", dit-il. "Ils sont au milieu et ne savent pas envers qui être loyaux, leurs parents, leur fratrie, ou eux-mêmes". "C'est moins pénible quand vous savez ce que vous voulez que pour ceux qui sont vraiment divisés, confus, et ne savent pas s'il veulent l'indépendance ou pas", explique-t-il.
Mais même les plus convaincus avouent être anxieux, vivant le conflit d'une manière très personnelle. Josep, 53 ans, un ingénieur pro-indépendance qui préfère ne pas donner son nom de famille, assure que lui et son père ont du mal à dormir "à cause de l'anxiété, et de la rage", après les violences policières qui étaient selon lui destinées à "humilier" les Catalans. Dans l'autre camp, Nuria Lago, une traductrice de 64 ans, avoue aussi être furieuse. "Je suis en colère contre tout ce qui s'est passé ils (les indépendantistes, NDLR) me font sentir comme si je n'étais pas Catalane, mais moi je suis née ici, mes parents sont enterrés ici!", dit-elle en assurant avoir même été traitée de "fasciste".
La crise politique intervient alors que Barcelone était en pleine convalescence après l'attentat islamiste du 17 août, mené à l'aide d'une fourgonnette qui a foncé sur la foule de la très touristique avenue de las Ramblas, tuant 14 personnes. Ingeborg Porcar, à la tête de l'Unité de Crise de Barcelone à laquelle est confiée la prise en charge des personnes traumatisées, explique que la crise rouvre des blessures encore à vif.
À chaque fois qu'un nouveau choc secoue les rues, où les manifestations de masse se succèdent depuis le début du mois d'octobre "tous les efforts qu'ils ont faits pour remonter la pente et surmonter la peur dans la rue sont gâchés, car un nouvel événement traumatique leur rappelle le précédent", explique-t-elle. Même si ces rassemblements plutôt pacifiques, pour ou contre l'indépendance, n'ont rien à voir avec des attentats, les citoyens restent sur leur garde, craignant de nouvelles actions policières ou de l'agitation. Cela crée une situation "d'hyper vigilance, ce qui n'est pas ce dont les gens ont besoin", explique cette psychologue, évoquant aussi la sensation "de perte de contrôle, d'insécurité" qui laisse forcément des séquelles.
Mais la situation touche aussi d'autres Espagnols note Guillermo Fouce, professeur de psychologie à l'Université Complutense de Madrid, qui dit avoir remarqué "une hausse de l'anxiété". "Des émotions fondamentales sont en jeu, car les gens sentent que leur identité est touchée", dit-il. Le salut est dans l'humour, selon lui. Les montages humoristiques qui prolifèrent "peuvent réduire le stress, simplifier les choses, et c'est bénéfique".