Maître Gilles-William Goldnadel, avocat d’Aksel Bellabaci, icône du combat du peuple kabyle pour l’autodétermination, explique, dans cet entretien avec notre rédaction, le caractère surréaliste et inacceptable de sa demande d’extradition formulée par le régime d’Alger à la justice française, notant que le dossier est non seulement vide de preuves et instrumentalisé à des fins politiques, mais qu’il cache également une procédure judiciaire antérieure compromettante, allant jusqu’à évoquer de sérieux risques de peine de mort pour ce dernier en cas de retour en Algérie. Cette situation illustre, selon maître Goldnadel, la nécessité impérieuse de protéger cet acteur principal de la lutte du peuple kabyle opprimé par la dictature algérienne, et de préserver l’intégrité du système judiciaire français face à des exigences d’extradition totalement farfelues.
Le360: comment expliquez-vous les accusations loufoques portées contre Aksel Bellabaci par le régime algérien?
Maître Gilles-William Goldnadel: il y a plusieurs explications qui peuvent s’ajouter. La première, c’est évidemment la détestation qu’inspire à la dictature algérienne le MAK, qui représente le mouvement kabyle de manière incontestable. Et donc, la perspective de pouvoir tenter de nuire au MAK peut expliquer l’inexplicable. Ça, c’est la première chose. Concurremment, le fait de réclamer à la France quelque chose qu’elle n’obtiendra pas pourra peut-être montrer à une partie de la population, qui ne demande qu’à maudire la France puisqu’elle a été éduquée uniquement dans le ressentiment de l’ancien colonisateur, qu’on ne peut rien obtenir juridiquement de la France. Et après, la France, elle se plaint de voir l’Algérie ne pas accepter de reprendre ses ressortissants délinquants. Et dans le cadre du MAK et de monsieur Bellabaci, et tant que l’affaire n’est pas terminée, il est sous contrôle judiciaire. Donc, il ne peut pas sortir de France. Il ne peut pas aller au Maroc, il ne peut pas aller dans d’autres pays. Il ne peut pas militer sur le plan international. Donc, de ce point de vue, l’objectif est rempli.
Mais sur le fond, vous avez raison. Vous avez parfaitement raison de parler de procédure fantaisiste. Elle est baroque, fantaisiste, ridicule et indécente. Il y a beaucoup de possibilités de la qualifier.
Sur le plan juridique et judiciaire, j’en ai plaidé des demandes d’extradition! Je n’en ai jamais vu une comme celle-ci. Elle est presque insultante pour la France puisque, d’ailleurs, l’avocate générale a réclamé à l’audience un supplément d’information. C’était faire grand honneur à la dictature algérienne et à la justice qui lui est aux ordres. Parce qu’en vérité, l’Algérie a envoyé quelques petits bouts de papier et a dissimulé sciemment aux autorités judiciaires françaises, qu’en réalité, la procédure en question avait déjà été diligentée. Un jugement avait été rendu contre de nombreuses personnes. Il n’est pas impossible de penser d’ailleurs que monsieur Bellabaci était condamné à mort. En tous les cas, s’il ne l’a pas été, il a été impliqué dans le jugement et il risque la mort, ce qui est déjà en soi une raison qui fait qu’il est inextradable. Donc, cette procédure est presque cocasse si vous voulez.
«Le dossier est d’un vide vertigineux et la justice algérienne ne donne aucune garantie de crédibilité et d’honnêteté.»
— Maître Gilles-William Goldnadel.
En tant qu’avocat de la défense, comment prévoyez-vous de contrecarrer ces tentatives d’extradition venant du régime algérien?
J’ai déposé un mémoire très argumenté dans lequel j’explique que c’est une demande politique, puisque monsieur Bellabaci est inscrit au Journal officiel algérien en tant que terroriste et membre du MAK et que, également, il risque la mort, que le dossier est d’un vide vertigineux, également que la justice algérienne ne donne aucune garantie de crédibilité et d’honnêteté qui ferait que la France puisse justement l’extrader vers ce pays qui n’est pas fiable judiciairement. Pour toutes ces raisons séparées, cumulées, la France ne peut pas extrader Bellabaci. Vous savez, en matière d’extradition, et je m’en suis plaint moi-même, vous avez un cas parlant, un islamiste algérien qui avait été condamné pour terrorisme par la France. La France a voulu l’expulser vers l’Algérie et on a considéré qu’il y avait des risques pour lui en Algérie. Du coup, il n’a pas été extradé. Moi je n’aurais pas plaidé pour ce terroriste. Mais c’est pour vous montrer à quel point la barre est très haute pour qu’une extradition soit effectuée.
La Cour d’appel de Paris prononcera le 2 octobre prochain son verdict. Avez-vous confiance en la justice française dans ce dossier?
Oui, j’ai confiance. De toute manière, le 2 octobre, soit la France demandera un supplément d’information, puisque l’avocate générale a critiqué la manière dont l’Algérie avait procédé, soit au contraire, elle déboutera complètement l’Algérie. Donc si vous voulez, moi, pour le 2 octobre, je suis d’une sérénité totale.
«On ne critique jamais la dictature algérienne. On ne critique jamais la manière dont le peuple kabyle est traité.»
— Maître Gilles-William Goldnadel.
Qu’est-ce qui explique, d’après vous, ce silence médiatique en France envers les menaces et les accusations portées contre Bellabaci et le MAK en général par le régime algérien?
C’est une question très pertinente. Pourquoi on parle plus des Sahraouis que des Kabyles par exemple? Pourquoi est-ce qu’on ne critique pas la manière dont les Algériens ont voté dimanche dernier? Ni la fantaisie de ces élections où le dictateur a été reconduit? D’ailleurs, on ne critique jamais la dictature algérienne. On ne critique jamais la manière dont le peuple kabyle est traité. En vérité, pour des raisons diverses et variées, d’intérêt et d’idéologie, on préfère critiquer plus la France que l’Algérie. Vous avez un président Macron qui a expliqué qu’il y avait des crimes contre l’humanité en Algérie. Vous comprenez, il y a une sorte d’autodétestation en France et de préférence pour la radicalité islamique qui fait que l’Algérie est mieux traitée que le Maroc sur le plan idéologique.
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Et puis, enfin, sans doute aussi pour des raisons de crainte, y compris peut-être de crainte physique. Mais, une chose est certaine: l’Algérie est idéologiquement, politiquement et médiatiquement protégée en France. La réalité, elle est là. Voilà pourquoi le peuple kabyle est si maltraité.