L’historien, qui publie dans trois semaines son nouveau livre intitulé «Histoire des Algéries» aux éditions Ellipses, est revenu lors de cet échange sur l’histoire des relations entre la France et l’Algérie pour mieux comprendre l’actualité du moment, dominée par les appels à commettre des actes de violence sur le territoire français par des influenceurs algériens résidant en France ou encore l’arrestation à Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, en novembre dernier.
L’actualité franco-algérienne à la lumière de l’histoire
Les relations entre la France et l’Algérie sont celles d’un «vieux pays et d’un pays qui n’existe pas. Un pays que la France a créé de toutes pièces à partir de 1830. Un pays auquel la France a donné son nom– l’Algérie– car auparavant le nom d’Algérie n’existait pas», explique de prime abord Bernard Lugan. Ainsi, poursuit l’historien pour aborder le cœur du problème, «la France a créé l’Algérie dans ses frontières actuelles (…) et ces frontières actuelles ont été créées par l’amputation du Maroc».
Une position qui rejoint celle de Boualem Sansal, lequel a précisément été emprisonné par le régime d’Alger pour avoir soutenu dans l’émission «Frontières» que le Sahara oriental était un territoire marocain. Bernard Lugan rappelle ainsi que quand la France s’est installée en Algérie en 1830, toute la partie orientale de l’Algérie, au sud d’Oran, était marocaine. «Toute la région de Colomb-Béchar, tout le Touat, le Tidikelt, le Gourara, Abelbala, la Saoura… Toutes ces régions étaient marocaines depuis des temps immémoriaux avec des représentants du sultan du Maroc. Toutes les archives marocaines sont unanimes sur la question, les rapports des diplomates également», atteste ainsi l’historien.
Lire aussi : Quand les archives françaises montrent que le «Sahara oriental» est historiquement marocain
Ainsi, l’Algérie vit-elle un problème de définition car «l’unité algérienne est tout à fait artificielle, récente et encore fragile», analyse Bernard Lugan qui considère que le problème, qui est le même depuis la création de l’Algérie, a été entretenu par l’attitude d’une France culpabilisée, qui «a rampé, avec la corde au cou, depuis 1962». C’est la raison pour laquelle, explique-t-il, «les Algériens ont pris l’habitude (…) face à un ectoplasme qui s’aplatit à chacune de leurs demandes (…) à pousser le bouchon de plus en plus loin».
Le Sahara dit occidental: un problème artificiel créé de toute pièce par l’Algérie
Le sursaut français est intervenu lors de la reconnaissance de la marocanité du Sahara en juillet dernier, car estime l’interviewé, il était alors «nécessaire de prendre une décision d’ordre géopolitique, qui était essentielle, la reconnaissance de la marocanité du Sahara dit occidental». Pour Bernard Lugan, cette reconnaissance coule de source car explique-t-il, «la question du Sahara dit occidental est une question totalement artificielle (…) qui a été créée artificiellement par l’Algérie».
Ce sujet précis, abordé dans son dernier livre «Le Sahara occidental en dix questions», publié aux éditions Ellipses, s’explique par les ambitions expansionnistes de l’Algérie. «Il suffit de regarder une carte de l’Algérie pour voir que c’est une toute petite tête ouverte sur la Méditerranée avec un immense abdomen à l’intérieur du Sahara», décrypte Bernard Lugan en reprécisant au sujet de ce Sahara, qu’elle ne l’a jamais possédé «puisqu’elle n’existait pas avant 1830», et qu’il lui a été offert par le général de Gaulle «d’une manière totalement incompréhensible».
Ainsi donc, l’Algérie lorgne-t-elle sur la façade atlantique du Maroc, longue de plus de 2.500 kilomètres, pour pallier sa petite fenêtre sur la Méditerranée. «L’Algérie a toujours voulu couper le Maroc de son Sud pour avoir une ouverture sur l’Atlantique. Elle ne pouvait pas l’avoir directement, donc elle a créé de toutes pièces la fiction d’un état sahraoui revendiquant son indépendance, et d’une population qui n’a jamais existé qui revendiquerait cette indépendance, de façon à créer au sud du Maroc et le long de l’Atlantique, un pseudo-Etat qui serait sous sa totale protection, son protectorat et qui lui permettrait de déboucher sur l’Atlantique», conclut Bernard Lugan.
Lire aussi : Dans un livre explosif, Bernard Lugan explique la question du Sahara occidental aux nuls
Pour l’historien, c’est le fond du problème, mais il convient de ne pas en oublier pour autant les territoires marocains que la France a intégrés à sa création et que le Maroc ne se verra pas restituer après son indépendance. Car «s’il y a bien une question de décolonisation à mener, c’est dans l’ouest de l’Algérie», lance-t-il ainsi face à ce qu’il considère être une opération de «manipulation la plus totale» que tout le monde connaît.
L’économie, l’autre moyen de pression dont dispose la France
Outre la révision de sa politique migratoire, notamment par la suppression des accords de 1968, ou encore la suspension des voyages sans visas jusqu’à présent possibles pour les détenteurs de passeports diplomatiques algériens (des dizaines de milliers), la France dispose d’autres atouts dans sa manche pour inverser la vapeur.
À la question de savoir comment la France doit désormais réagir face aux provocations de l’Algérie, Bernard Lugan brandit des chiffres et parle économie, le nerf de la guerre, afin de démonter les moyens considérables dont dispose la France. «La France peut demain couper toutes ses relations avec l’Algérie, il n’y aurait aucune conséquence pour elle», affirme-t-il ainsi en prenant pour exemple le gaz algérien, qui représente à peine 8 % de la consommation française et le pétrole algérien, qui culmine quant à lui à 9 % de la consommation française et peuvent donc être facilement remplacés. Enfin, s’appuie-t-il sur les chiffres du commerce extérieur de la France, qui atteignent en moyenne la somme de 770 milliards d’euros avec une part d’à peine 12 milliards d’euros pour l’Algérie.
En revanche, souligne-t-il, la France joue un rôle important dans les investissements directs étrangers en Algérie qui permettent à l’économie et à l’industrie algériennes de se développer. Ainsi, si les investissements étrangers directs totaux en Algérie sont de 6 milliards d’euros, la France pèse pour 50 % dans ceux-ci. «Les moyens de chantage, de rétorsion ou d’influence que nous avons sur l’Algérie sont considérables», estime Bernard Lugan.
Ce qui motiverait une possible libération de Boulem Sansal
Mais quel avenir pour Boualem Sansal, toujours emprisonné dans les geôles algériennes pour avoir tenu un discours taxé de trahison? Sa libération n’est pas forcément à écarter, selon l’historien qui considère un probable scénario où les Algériens feront monter la tension jusqu’à un moment opportun, lorsqu’ils «vont jouer les grands seigneurs en le libérant». De cette façon, récolteront-ils les lauriers des historiens alignés sur l’Algérie et celui des organes de presse français, qui verront dans cette libération une réaction humanitaire, entrevoit le spécialiste. Ce scénario serait d’autant plus réalisable que l’Algérie est dans une impasse.
Toutefois, tempère-t-il, «on ne peut pas savoir avec eux parce que le système algérien est très ancré dans le ressentiment et que tout est possible avec l’Algérie. Nous ne sommes pas face à des gens qui ont une attitude cohérente et conforme aux usages diplomatiques traditionnels», estime ainsi Bernard Lugan.
Et de conclure, avec l’Algérie, «nous sommes en présence d’un Etat révolutionnaire, qui a été créé de manière artificielle. Nous ne sommes pas en présence d’un vieil État, avec sa diplomatie, avec son savoir-vivre, avec ses mœurs, avec sa politesse, avec son élégance, comme l’est le Maroc».