Le fait est devenu une habitude en Algérie. A chaque fois que des nominations au sein de l’administration publique sont décidées, le mécontentement fuse de toutes parts. En cause, le parachutage, le favoritisme et le clientélisme qui supplantent désormais, et de façon flagrante, le mérite et la compétence.
C’est pourquoi, en Algérie, la pratique des lettres anonymes est devenue une forme d’expression latente très usitée par les cadres et fonctionnaires algériens, à travers laquelle ils dénoncent des injustices subies, tout en s’évitant des sanctions. Le président algérien, Abdemadjid Tebboune, avait pourtant déclaré, l’été dernier, que ces lettres anonymes sont désormais «nulles», et que seule la voie hiérarchique prévaut pour résoudre les doléances des fonctionnaires. Il espérait ainsi faire taire les nombreuses voix qui dénoncent la prévarication qui fait loi en Algérie.
Cette injonction présidentielle n’aura finalement servi à rien, puisqu’on vient d’assister à une résurgence de ce phénomène avec la diffusion à grande échelle, cette semaine, de plusieurs lettres anonymes dont tout laisse croire qu’elles ont été rédigées par des diplomates relevant du ministère algérien des Affaires étrangères.
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Les missives en question, au ton acerbe et remettant en cause de nouvelles promotions internes, sont tombées sur le bureau du chef de ce département, Sabri Boukadoum, avant de fuiter pour se retrouver entre d’autres mains.
Dans l’une de ces lettres anonymes, il est écrit qu’«un malaise ambiant s’empare du moral des cadres du ministère des Affaires étrangères suite à la promotion récente de plusieurs secrétaires des affaires étrangères au poste de directeurs dans plusieurs départements du ministère». En d’autres termes, les critères de la hiérarchie des grades et échelles (attaché des affaires étrangères, secrétaire, conseiller, ministres plénipotentiaires…) et de la compétence (diplômes, ancienneté…) ont été bafoués.
Les signataires anonymes citent nommément des cas précis de promotions de simples «employés», propulsés du jour au lendemain en tant que directeurs de départements.
C’est ainsi que Boukemach, cité dans l’une des lettres, passe directement de secrétaire des affaires étrangères (SAE) à directeur du département chargé de la presse. Pire, le SAE Inzrouhane, qui n’est même pas titulaire d'un baccalauréat, est devenu directeur financier du ministère, un poste qui exige au minimum un diplôme de l’Ecole nationale d’administration. Pour cette direction très prisée, précise la lettre, des cadres du ministère disposant d’un doctorat n’ont jamais réussi à y être promus.
Pour sa part, Hilal, lui aussi SAE, a brûlé toutes les étapes pour se voir parachuter directeur chargé des ressources auprès de l’IDRI (Institut diplomatique des relations internationales) relevant du ministère des Affaires étrangères, alors que Mokhtari Mohamed, simple attaché d’administration, a hérité de la direction des ressources au sein du ministère.
Plusieurs autres SAE, dont deux femmes, ont été nommés CES (chargé des études et de la synthèse), un poste qui équivaut au rang de directeur au ministère des Affaires étrangères.
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Par ailleurs, Abdelaziz Benali Chérif, ancien directeur de la communication et porte-parole de ce ministère, en poste actuellement en tant qu’ambassadeur en Argentine, a été remplacé par un ancien consul général à New York, qui a la particularité d’avoir cédé son poste, en 2015, à Sabria Boukadoum, l’épouse de l’actuel ministre éponyme. Le nouveau porte-parole du ministère doit aussi ses nominations dans le corps diplomatique au fait que son épouse n’est autre que la fille d’un ancien ponte du FLN, actuellement directeur général d’Air Algérie, Wahid Bouabdellah.
Même les retraités réussissent à revenir au sein de la fonction publique algérienne par des voies détournées. Ainsi, ces lettres anonymes dénoncent la nomination par Sabri Boukadoum de plusieurs anciens diplomates, tous âgés de plus de 70 ans, au poste d’ambassadeurs-conseillers auprès du ministre.
Il faut aussi rappeler que les nouvelles nominations, opérées par Sabri Boukadoum, interviennent en violation des instructions du Premier ministre Abdelaziz Djerad. Ce dernier, pour étouffer la colère qui gronde dans certaines administrations à cause de ces parachutages, a interdit au début de ce mois toute nomination ou promotion nouvelle au sein de la fonction publique, et ce, jusqu’à nouvel ordre.
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Selon Mohamed Larbi Zitout, un ancien diplomate algérien exilé à Londres, ces parachutage, qui ont de tout temps existé dans la fonction publique algérienne, ne sont plus un phénomène limité, mais sont devenue une pratique généralisée. Ils sont surtout devenus une règle au sein du ministère des Affaires étrangères, où les promotions sont très prisées car elles sont synonymes d’argent, de prestige, de pouvoir et de dolce vita à l’étranger.
C’est ce qui explique, selon lui, l’état actuel de déliquescence très avancée dans lequel baigne la diplomatie algérienne, qui n’a plus voix au chapitre dans les dossiers régionaux (Sahara atlantique, Libye, Mali), et a fortiori internationaux.
Le ministère des Affaires étrangères a, lui, réagi indirectement, à travers des déclarations, elles aussi anonymes, dans les colonnes d’un média proche du pouvoir, pour dénoncer ces lettres et défendre surtout la remise en selle de vieux diplomates retraités. «Outre l’improductivité du procédé, qui a installé un climat de suspicion, causant ainsi de graves préjudices à la psychologie générale et à l’honorabilité des cadres promus, dont un ambassadeur conseiller qui reste de loin un des diplomates chevronnés du palais des Annassers et un autre, lui aussi brillant diplomate et véritable tour de contrôle du monde arabe, pour ne parler que de ces deux hauts cadres, l’action des auteurs aurait dû prendre une autre forme avec la hiérarchie, pour plus de compréhension, de proximité et d’efficacité, en se rapprochant directement de la hiérarchie, conformément aux procédures en vigueur», laisse-t-on entendre, dans un ton qui n’est pas sans rappeler la phraséologie des communiqués de la diplomatie algérienne, qui fusent à chaque fois que l’échec est au rendez-vous. C’est-à-dire quasi-constamment.