La gérontocratie est ce qui définit le mieux le régime algérien. La moyenne d’âge des dirigeants qui tiennent les rênes du pouvoir doit dépasser 80 ans. Le curseur de cette moyenne a même été revu à la hausse avec le retour aux affaires des militaires qui étaient actifs pendant la décennie noire: Mohamed Mediène, Khaled Nezzar et M'henna Djebbar. Une décennie noire qui a fait 250.000 morts, selon le président algérien Abdelmadjid Tebboune.
Jeudi 24 février 2022, et alors qu’il a été imposé comme candidat unique, le président du Conseil de la Nation algérien, Salah Goudjil, du haut de ses 91 ans révolus, a été plébiscité pour rempiler pour un mandat de trois autres années. Ce nouveau mandat, il le doit, malgré ses nombreuses maladies et son absentéisme chronique, à la bénédiction des chibanis toujours à la tête du régime, comme Abdelmadjid Tebboune (77 ans), qui l’a désigné dans le cadre du tiers présidentiel, sur ordre de l’institution militaire qui dirige réellement le pays. C’est d’abord le chef de l’état-major de l’armée, le général Said Chengriha (76 ans), connu pour son régionalisme, qui a apporté son soutien au maintien de Goudjil, natif de Batna, et donc issu de la même région que lui.
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Le plus étonnant, c’est que selon la Constitution algérienne, c’est le président du Sénat, donc Salah Goudjil, qui devrait assurer la période transitoire en cas de disparition du président Tebboune. On se souvient que lorsque l’ancien président algérien, Abdelaziz Bouteflika, avait été contraint à déposer sa démission, en 2019, c’est Abdelkader Bensalah, alors président du Sénat, qui avait assuré la présidence de l’Etat algérien.
Il est également certain que le général Benali Benali (89 ans), dernier moudjahid en exercice dans l’armée, a soutenu Goudjil, qui, lui aussi, a acquis le poste de sénateur qu’il occupe depuis 2013 grâce à sa qualité de moudjahid. D’ailleurs, c’est ce statut qui a obligé Abdelaziz Bouteflika à désigner Goudjil, bien que ce dernier ait soutenu Miloud Hamrouche lors de la présidentielle de 1999, avant de soutenir la candidature de Ali Benflis en 2004, toujours contre Bouteflika. Ce sont certainement ces positionnements anti-Bouteflika qui lui ont également valu la bénédiction des deux vieux généraux à la retraite, mais toujours très actifs au sein du pouvoir, Mohamed Mediène, dit Toufik, (82 ans au minimum) et Khaled Nezzar (84 ans).
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C’est finalement par un concours de circonstances inattendues que Salah Goudjil est devenu d’abord président par intérim du Sénat en 2019, à la faveur de la désignation de Abdelkader Bensalah au poste de chef d’Etat transitoire, après la mise à l’écart d’Abdelaziz Bouteflika sous la pression des manifestations populaires du Hirak. Après l’élection d’Abdelmadjid Tebboune, feu Bensalah devait reprendre son poste à la présidence du Sénat, mais Said Chengriha, qui venait tout juste d’être désigné chef d’état-major de l’armée suite à la mort subite du général Ahmed Gaid Salah, l’aurait contraint à la démission le 4 janvier 2020 pour laisser l’intérimaire Goudjil devenir président du Conseil de la Nation.
Certains observateurs ont cru déceler dans la récente désignation au Sénat de Dahou Ould Kablia (79 ans) une tentative de «rajeunissement» à la tête de la chambre haute algérienne, mais l’ancien ministre de l’Intérieur, sous Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahya, a été rapidement contraint de retirer sa candidature à la présidence de la deuxième Chambre du Parlement algérien.
Conscient lui-même que sa réélection est très mal vue au regard de son âge très avancé, Salah Goudjil a dit retrouver une «force» pour exercer sa mission. «Votre importante confiance, soutenue par la confiance du président Abdelmadjid Tebboune, me donnent de la force pour la mission que nous sommes appelés à accomplir au service de l’Algérie», a-t-il dit aux sénateurs dont la plupart pourraient être ses arrière-petits-fils.
Pour rappel, Salah Goudjil, apparemment sans le moindre diplôme, n’a jamais exercé une fonction étatique durant l’ère de Houari Boumediène, à part celle de chef de section (daïra) du Front de libération nationale (FLN-parti unique à l’époque) dans plusieurs villes du pays (1963-1979).
Sous Chadli Bendjedid, Goudjil devient ministre des Transports, avant de connaître une longue traversée du désert de 1986 à 2013, année où il est présenté sur la liste des vétérans de la Guerre d’Algérie pour être désigné sénateur, dans le cadre du tiers présidentiel, par Abdelaziz Bouteflika.
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Ne tarissant jamais d’éloges à l’égard d’Abdelmadjid Tebboune et du général Said Chengriha, Salah Goudjil ne rate aucune occasion pour s’en prendre au Hirak, qui a exigé son placement dans une maison de retraite, comme pour tous les séniles au pouvoir. Ses attaques contre le Maroc sont également légion. En novembre dernier, il a qualifié le Royaume de pays «ennemi», suite à la visite à Rabat de Benny Gantz, ministre israélien de la Défense.
Le maintien de Goudjil à la tête du Sénat algérien apporte une preuve supplémentaire de la solidarité active des chibanis, à la tête du régime, pour maintenir la jeunesse algérienne hors du périmètre du pouvoir. Il ne faut rien attendre de cette «Algérie nouvelle», dirigée par de vieux séniles dont les grilles de lecture du monde datent du siècle dernier. Il ne faut pas non plus s’attendre à ce qu’ils partagent le pouvoir avec de jeunes algériens. Le général-major Mohamed Kaidi, 60 ans et très populaire, a été limogé probablement parce qu’il apportait un peu de contradiction aux vieillards qui dirigent l’Algérie. Heureusement que l’horloge biologique est là pour laisser espérer une nouvelle ère pour les Algériens et toute la région.










