L’escalade de la junte algérienne contre le Maroc cache mal la guerre clanique et le feuilleton interminable de la vendetta, exécutée par le duo Nezzar-Toufik. Au Maroc, les chaînes du pôle public ne parlent quasiment pas de l’Algérie. En revanche, toutes les chaînes publiques algériennes ne parlent que du Royaume, de son «alliance contre-nature avec l’entité sioniste», de «manifestations de masse dans les villes du Royaume», «d’attaques quotidiennes des éléments du Polisario qui font des morts parmi les soldats marocains»… Cette propagande, qui suinte une haine impuissante, n’a pas de limite comme en attestent les bulletins météo de l’ENTV. Le Maroc a en effet été banni même du bulletin météo, diffusé sur la télévision algérienne, à l’opposé des autres pays maghrébins.
Pendant que la junte est empêtrée dans la mécanique de l’hystérie anti-marocaine, les généraux à la retraite Khaled Nezzar et Mohamed Mediène, dit Toufik, poursuivent le nettoyage systématique de l’armée algérienne des officiers supérieurs qui ont servi sous les ordres de Gaïd Salah.
Durant ces deux dernières années, le haut commandement militaire a été décimé, à tel point que pas moins d’une trentaine de généraux croupissent actuellement dans les geôles militaires, sans compter des dizaines d’autres hauts gradés mis à la retraite ou morts de façon brutale.
L’Etat militaire profond
Le régime algérien post-Bouteflika est aujourd’hui formé de deux ailes. La partie visible de la première aile est constituée par une façade civile, contrôlée par un chef d’état-major omniprésent. Abdelmadjid Tebboune est le président illégitime de la république algérienne, et Saïd Chengriha, le patron de la junte militaire qui détient les rênes du pouvoir en Algérie.
La seconde aile du pouvoir, celle de l’ombre, qui représente l’Etat militaire profond, est formée par les généraux qui étaient à la tête de la chaîne de commandement pendant la décennie noire. Deux généraux à la retraite, Toufik, ancien patron de l’ex-Département du renseignement et de la sécurité (DRS) et Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense durant les années 90 du siècle dernier, sont les seuls hauts gradés encore en vie, faisant partie du cercle restreint qui a décidé d’annuler les élections législatives de 1991 et d’engager le pays dans une guerre civile sanglante qui a fait plus de 250.000 morts et déplacé plus d’un million de personnes.
Aujourd’hui, le clan de l’ombre, naguère décimé par le défunt homme fort de la junte, le général Gaïd Salah, revient en force et place dans tous les postes sensibles des militaires qui ont soit été jetés en prison, soit fui l’Algérie pour y échapper.
Il y a un avant et un après In Amenas
L’on se souvient que Gaïd Salah avait ordonné l’arrestation du puissant chef des services secrets algériens, Toufik, après avoir incarcéré l’un après l’autre tous ses proches collaborateurs, et acculé à la fuite vers l’Europe, et principalement en Espagne, de nombreux autres généraux, à leur tête le général Khaled Nezzar.
Ce sont justement tous ces ex-taulards et ces ex-fugitifs, sortis de prison ou revenus de leur exil en Espagne, qui ont pris le pouvoir en Algérie.
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Cette ancienne-nouvelle junte a quasiment reconstitué aujourd’hui sa configuration des années 90, car la plupart des anciens généraux qui ont sévi durant la guerre civile de la décennie noire reviennent en force pour occuper des postes clés.
C’est ainsi que le général M’henna Djebbar est, depuis octobre dernier, à la tête d’une nouvelle structure dénommée «Direction chargée de la lutte contre le terrorisme». En réalité, ce général de 72 ans, dont le nom a été associé à l’assassinat, en 1996, des moines de Tibhirine, et qui a dirigé la sécurité militaire (DCSA) de 1995 à 2013, est pressenti pour devenir le prochain patron du DRS, qui pourrait être bientôt rétabli par un décret présidentiel signé par Abdelmadjid Tebboune.
M’henna Djebbar sera probablement épaulé par l’ex-bras droit de Toufik, le général Hassan, alors même que ce dernier est l’un des acteurs de l’effondrement de l’Etat algérien après le carnage qu’il a commis contre les otages, étrangers pour la plupart, détenus par des terroristes lors de l’attaque du site de la plateforme gazière de Tiguentourine, à proximité de la commune d’In Amenas, en janvier 2013. Un fiasco qui a dévoilé au monde entier l’incompétence de l’armée algérienne et a profondément modifié la perception qu’avaient nombre de puissances sur l’Algérie.
Un diplomate étranger, accrédité dans une chancellerie à Rabat, confie, interrogé par Le360: «mon pays a complètement reconsidéré la place de l’Algérie en Afrique du nord après la prise d’otage d'In Amenas. Le régime algérien a non seulement apporté la preuve qu’il était incapable de défendre ses frontières mais son intervention catastrophique a ruiné le capital dont le créditaient de nombreuses puissances». Selon ce diplomate, «il y a un avant et un après In Amenas».
L’arrestation du général Hassan en 2015 et sa condamnation à 5 ans de prison sont à l’origine du premier communiqué rendu public par Toufik pour défendre son proche collaborateur.
Les vieux démons de la décennie noire
Un autre revenant: le colonel Abdelkader, dit Nacer El-Djenn, ancien fugitif en Espagne, a été nommé récemment patron du Centre principal des opérations (CPO), ou caserne Antar sinistrement connue pour être un lieu de torture, relevant de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Nacer El Djenn a fait l’essentiel de sa carrière au sein de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), du temps où elle était le bras armé de l’ex-DRS dans le traitement des réseaux présumés terroristes des années 90. «Le diable», a aussi piloté le Centre principal militaire d’investigations (CPMI), un centre de tortures et d’exécutions extrajudiciaires, sis à Blida, durant la décennie noire.
Pour sa part, le colonel Hocine Hamid, alias Boulahya, qui était lui aussi un fugitif en Espagne, également réhabilité, vient d’êtrenommé à la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure. «L’Algérie nouvelle» que vante le régime est un étonnant remake de l’Algérie des années 90 du siècle dernier.
La vengeance rend aveugle
La recomposition, presque complète de ce clan, n’augure rien de bon pour Abdelmadjid Tebboune, qui reste l’homme de Gaïd Salah, celui-là même qui a humilié Nezzar et Toufiq. L’humiliation ressentie par ces deux hommes est tellement forte qu’elle les a engagés dans une vengeance aveugle contre les hommes de Gaïd Salah. Pour avoir une idée de l’humiliation ressentie par Toufik, par exemple, il faut remonter à 2019.
La famille de Toufik a lancé un cri de détresse dans une lettre publique où elle se plaint des conditions de détention de l’homme que l’on surnommait «Reb dzaïr» (littéralement le «dieu de l’Algérie»). Dans cette lettre, la famille faisait part d’une chute de Toufik dans le centre pénitencier de Blida qui «a occasionné une fracture complexe de l’omoplate droite». Or le tout-puissant Toufik «subit alors une intervention chirurgicale dans une structure légère relevant de la 1ère Région militaire, loin d’être équipée pour ce type d’accident, alors que son état, compte tenu de son âge et de sa situation, nécessite une prise en charge spécialisée à l’hôpital militaire de Aïn Nadja, qui aurait été plus approprié pour la qualité des soins», fait remarquer sa famille.
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Quelques semaines plus tard, les trois enfants de Mohamed Mediène lancent une pétition pour demander la libération de leur père. Dans cette pétition, le général Toufik, chef de tous les services de renseignement en Algérie, est décrit comme (il faut se retenir de pouffer de rire)… «un détenu politique et d’opinion». Dans cette pétition, son fils Sid Ali et ses deux filles Nassila et Sabrina Mediène pleurent en public leur papa. Un outrage que rien ne peut effacer.
Une fois qu’on a pris la mesure de l’humiliation de deux très puissants généraux, l’un acculé à la fuite, l’autre incarcéré dans les pires conditions, on comprend dès lors que leur soif de vengeance dépasse toute autre considération. Le général-major Mohamed Kaïdi, pourtant très populaire, l’un des rares rescapés de la purge qui a frappé les hauts gradés qui ont servi sous le commandement de Gaïd Salah, a été arrêté et limogé au début du mois de novembre. Son éviction a provoqué un choc dans l’armée algérienne.
Aujourd’hui qui, parmi les généraux qui ont servi sous le commandement de Gaïd Salah, est encore en poste? Le commandant des forces terrestres, le général Saïd Chengriha. C’est la seule présence qui rappelle aujourd’hui au duo Nezzar-Toufik que leur vendetta n’est pas encore complète.