Algérie. Qui était Madani, le charismatique chef islamiste de la "décennie noire"

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Enterré samedi à Alger, Abassi Madani a été un chef charismatique de l'islam politique en Algérie où son nom restera associé à la guerre civile qui a ensanglanté son pays pendant dix ans.

Le 28/04/2019 à 10h05

Madani est décédé mercredi à 88 ans dans un hôpital de Doha. Il avait quitté l'Algérie en 2003 après avoir été libéré de prison où il avait purgé une peine de 12 ans pour atteinte à la sûreté de l'Etat. Il avait aussi été interdit de toute activité politique.

Si pour ses partisans, Madani était un leader historique qui "n'a pas eu les mains tachées de sang", pour ses détracteurs, il est au contraire celui qui a dirigé à partir de sa prison des opérations armées et des "crimes" ayant fait des milliers de morts.

Son décès a ravivé le débat sur les réseaux sociaux, des internautes le qualifiant de "criminel".

Né en 1931 à Sidi Okba, une palmeraie de l'Est algérien, Madani suit les enseignements d'une école coranique. En novembre 1954, il participe au déclenchement de la guerre d'indépendance contre le pouvoir colonial français, mais rapidement arrêté après une tentative d'attentat contre la radio d'Alger, il passera les sept ans du conflit en prison.

Licencié en philosophie, il décroche en Grande-Bretagne un doctorat en Pédagogie et Sciences de l'éducation. Professeur de psycho-pédagogie à l'université d'Alger, Madani milite tôt, dans une Algérie régie par le parti unique, pour un islam politique, dont il devient un chef de file et qui lui vaut un séjour d'un an en prison en 1982.

Après avoir transformé les mosquées en tribunes politiques, Madani et quelques autres font sortir l'islam politique de la clandestinité à la faveur des réformes, dont le multipartisme, lancées après les émeutes d'octobre 1988, en créant en 1989 le Front islamique du Salut (FIS). L'objectif du parti est d'instaurer un Etat théocratique en Algérie.

Madani en prend la tête, assisté d'un jeune bras droit, Ali Belhadj. Prédicateur infatigable courant d'une mosquée à l'autre, il est adulé par des milliers de fidèles.

Décrit comme un politicien rusé, l'homme, barbe rousse taillée en collier, est un orateur médiocre - mais persuasif - au débit lent et à l'accent nasillard, qui préfère laisser à Ali Belhadj le soin de haranguer les foules par ses prêches incendiaires.

Le regard malicieux, il joue du contraste avec le caractère exalté de ce dernier pour apparaître comme un modéré.

Pour ses détracteurs, ses engagements à respecter la démocratie et le pluralisme si le FIS conquérait le pouvoir sont de "pure tactique".

Après la large victoire en juin 1990 du FIS aux élections locales - premier scrutin pluraliste de l'histoire de l'Algérie -, Madani se comporte en successeur virtuel du président Chadli Bendjedid, en fin de mandat.

Son appel à une "grève générale illimitée" en mai-juin 1991 pour forcer Bendjedid à organiser des législatives anticipées tourne à l'épreuve de force et dégénère en affrontements entre forces de l'ordre et manifestants.

L'armée décrète l'état de siège le 5 juin 1991 et le fait arrêter avec Ali Belhadj.

C'est depuis sa cellule, que M. Madani assiste à la fin de cette même année à la victoire du FIS au 1er tour des législatives, à l'annulation du 2nd tour et la dissolution de son parti début 1992.

Cette dissolution du FIS interrompt le processus démocratique et plonge le pays dans une décennie de guerre civile, groupes islamistes armés contre forces de sécurité, mais dont les civils figureront en nombre parmi les 200.000 morts officiels du conflit, victimes notamment des attentats ou massacres attribués aux maquis islamistes.

En 1999, Madani avait dit appuyer la décision de l'Armée islamique du Salut (AIS), le bras armé du FIS, annonçant déposer les armes et il avait appelé lui-même à la fin de la lutte armée à sa libération en 2003.

L'ancien prédicateur s'était fait relativement discret dans son exil qatari.

Le 28/04/2019 à 10h05