Romancier, réalisateur et chroniqueur dans les colonnes du quotidien français Les Echos, Marc Dugain a consacré sa dernière chronique, le 15 octobre dernier, à «l’impasse algérienne». Et c’est sous l’angle du complotisme, ce «mal endémique qui crée entre nous et la vérité un écran opaque», que Marc Dugain a choisi d’entamer cette chronique consacrée à l’Algérie, à sa situation politique et à un sujet à l’actualité brûlante, à savoir les récentes crispations entre ce pays du Maghreb et la France.
Le complotisme, ce mal endémique qui tue l’esprit critiqueLe complotisme, ce mal qui oppose l’esprit critique à la vérité dite officielle et qui permet de sacrifier ce même esprit critique sur l’autel de la conspiration, a d’ailleurs atteint un niveau tel en Algérie que la toute récente sortie médiatique du président français Emmanuel Macron, au cours de laquelle celui-ci remet en question l’écriture de l’histoire algérienne et la notion même de nation algérienne, lui a valu d’être érigé, dans ce pays féru de complotisme, au rang de «premier complotiste de France».
«En tout cas, c'est ainsi qu'il a été perçu par les autorités algériennes, stupéfaites de voir le président de la France se livrer à une reconstruction du réel qu'elles jugent évidemment outrageante, en tentant, dans son raisonnement à suivre, de les comprendre», précise l’auteur.
Le scénario algérien, cette fiction lénifianteCe scénario algérien, dont le récit national est cousu de fil blanc et «qui ronronnait sur la base d’une fiction lénifiante», Marc Dugain en perçoit, en tant que réalisateur, les contours, et surtout les limites. Il était une fois… «le parti au pouvoir issu de l'indépendance qui gérait en bon père de famille une nation tranquille à l'ombre de la culpabilité reconnue et répétée de l'ancien colonisateur», voilà pour le pitch brossé en quelques mots par le chroniqueur. Vraiment pas de quoi en faire le film du siècle, ni même d’ailleurs un film crédible.
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Place maintenant à la réalité. Crue, brutale, qui ne peut plus souffrir d’être dissimulée derrière l’écran opaque du complotisme. Certes, concède l’auteur, «on peut regretter la colonisation, la considérer comme un crime contre l'humanité»… Mais là s’arrêtent les regrets et le temps du mea culpa. Et Marc Dugain de lever le rideau sur cette réalité que certains ne sauraient voir, ou laisser voir. En effet, poursuit-il, il ne faut pas pour autant «perdre une certaine objectivité sur ce qu'est devenue l'Algérie, pays d'une richesse immense mis à sac par une clique militaro-politique kleptocrate qui, on peut le rajouter, n'a pas été pour rien dans le déclenchement des massacres des années 1990 par des agissements plus que troubles».
Découlant de ces mêmes troubles et agissements que dénonce le chroniqueur, un constat qui saute aux yeux de tous et que celui-ci formule en une interrogation: «comment un pays aussi riche compte une population aussi pauvre et aussi désireuse de fuir son pays pourtant indépendant?».
Dans cette question en effet tient en partie une réponse à la tragédie migratoire qui occupe le centre du débat politique en France, explique l’auteur, car, poursuit-il, «l'argent destiné à la conservation et à la distribution de l'eau s'est évaporé, l'Algérie est un des premiers pays à vivre le grand stress hydrique annoncé par le réchauffement climatique qui devrait une nouvelle fois précipiter sa jeunesse hors de ses frontières».
Le Maroc, le parfait bouc émissaireDe la même manière que la chronique de Marc Dugain débute sur une note complotiste, c’est sur cette même note qu’elle s’achève… A cette différence géographique près: Emmanuel Macron, désigné complotiste en chef par la junte militaire au pouvoir, passe le relais… au Maroc.
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Mais pourquoi donc le Maroc, est-on en droit de se demander? Parce que, analyse l’auteur, «soixante ans après l'indépendance, les Algériens ne sont pas parvenus à récupérer leur pays confisqué par une frange cupide et machiavélique», et que par conséquent, «comme toutes les pseudo-démocraties dictatoriales à bout de souffle, l'Algérie se doit de trouver des boucs émissaires à son malheur».
Alors «pourquoi pas l'ancien colonisateur ou son voisin le Maroc avec lequel elle aimerait bien ferrailler, histoire de distraire sa population des vrais responsables de sa détresse», suggère Marc Dugain. La boucle est donc bouclée.