De Tanger jusqu’à Tarfaya, l’émission Destination Francophonie de TV5MONDE, consacrée au Maroc, trace une diagonale de 1.500 kilomètres. Il relie le détroit à l’océan, les collines andalouses aux plaines désertiques, les médinas séculaires aux campus futuristes, les traditions artisanales aux rêves numériques.
Au fil des rencontres, le portrait sensible d’un pays multiple et cosmopolite s’écrit dans cet épisode, qui a été projeté en avant-première, mercredi 24 septembre à l’ambassade de Rabat à Paris.
Première étape: Tanger, la ville aux mille et un visages
On l’appelle la ville blanche, la ville du détroit, la ville des artistes, la ville des mythes. Tanger est tout cela à la fois, et bien plus encore. Le film s’y ouvre comme sur un décor de théâtre: façades blanches éclatantes, ciel bleu saturé, embruns portés par le vent. Les ruelles de la médina serpentent, pleines de parfums d’épices, de poisson grillé, de cuir tanné.
C’est ici que vit Zoubeir Benbouchta, dramaturge autodidacte, metteur en scène reconnu et directeur du Théâtre Riad Sultan. Ancien jardin andalou laissé à l’abandon, ce lieu est devenu sous son impulsion une fabrique de culture.
Zoubeir aime raconter qu’il y a trouvé, adolescent, une ruine envahie de lierre. «J’ai voulu en faire un espace ouvert, à la fois maison et scène, refuge et tremplin», dit-il. Aujourd’hui, on y répète des pièces, on y organise des lectures, on y joue des concerts. Dans ses salles voûtées, des enfants lisent à voix haute, des comédiens s’exercent, des musiciens accordent leurs instruments.
Avec lui, on descend vers le Petit Socco, place mythique où se croisèrent au XXème siècle Paul Bowles, Jean Genet, Tennessee Williams, William Burroughs et Mohamed Choukri. Les terrasses bruissent encore de conversations en plusieurs langues. Un vieil homme raconte avoir vu Paul Bowles marcher là, dans les années 1980, le visage caché par des lunettes noires. Dans un angle, des jeunes artistes sirotent un café noir et parlent de leurs projets d’expositions. Le passé n’est jamais loin, mais il se mêle au présent.
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Plus bas, dans une ruelle discrète, la Librairie des Insolites attire l’œil. Sa fondatrice, Stéphanie Gaou, l’a transformée en laboratoire vivant. En 2021, elle a reçu le prix de la «Librairie hors de France». Pour elle, Tanger n’est pas seulement le mythe d’une ville rêvée par les écrivains étrangers. C’est une ville africaine, une ville jeune, une ville pleine de promesses. «Il faut arrêter de regarder Tanger comme un décor figé. Ici, ça bouge, ça invente, ça crée», insiste-t-elle.
Le soir tombe. Zoubeir guide l’équipe jusqu’au cap Spartel. Chaque soir, il vient confier ses pensées au soleil qui se couche. Le ciel s’embrase, les vagues frappent les rochers, la lumière se teinte d’orange et de rouge. Tanger ferme la marche de cette première étape, insaisissable et magnétique.
Tétouan, la fille de Grenade
Quittant Tanger, la route serpente vers l’est. Les montagnes du Rif se dessinent, bleues à l’horizon. Après une heure de trajet, Tétouan apparaît, posée entre mer et collines. On la surnomme la «fille de Grenade». Sa médina, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, est un bijou blanc accroché à flanc de colline.
C’est dans cette ville que grandit Salma Balawan. Formée à l’INBA de Tétouan, puis doctorante à Paris-VIII, elle développe un projet singulier: une visite virtuelle et interactive du Centre d’arts modernes, mêlant artisanat et technologies immersives.
En l’accompagnant dans les ruelles, la caméra capte l’âme de Tétouan. Les murs blanchis à la chaux reflètent la lumière crue, les portes vertes s’ouvrent sur des ateliers minuscules où des artisans martèlent le cuivre, tissent la laine, sculptent le bois. Plus loin, le musée Bab el Okla retrace l’histoire artisanale de la région. Tapisseries, bijoux, costumes, objets de la vie quotidienne racontent une mémoire en mouvement.
Tétouan n’est pas une ville figée dans le passé, mais une cité qui cherche à relier héritage et avenir. L’Institut français, installé depuis 1973, y joue un rôle central. Son “Lab Digital” accueille jeunes créateurs et inventeurs, son cinéma projette des films du monde entier, sa médiathèque grouille d’enfants après l’école.
Meknès, l’éternelle discrète
Le voyage continue vers l’intérieur. La route longe les oliveraies, traverse des plaines fertiles, grimpe des collines. Au bout, Meknès, l’une des quatre villes impériales du Maroc. Capitale sous Moulay Ismaïl au XVIIème siècle, elle fut surnommée “Versailles du Maroc”.
Sarah Jabri, journaliste de 2M, y voit une beauté discrète, éternelle. Elle nous entraîne sur la place El-Hédim, vaste esplanade animée où se croisent marchands, conteurs, charmeurs de serpents, musiciens. Dans un coin, des enfants tournent autour d’un marchand de jouets. Dans un autre, un vieil homme récite des poèmes à qui veut l’écouter. Les senteurs se mélangent: épices, grillades, menthe fraîche.
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Dans les ruelles adjacentes, Sarah s’arrête devant une échoppe de pâtisserie. Les femmes étalent la pâte, la découpent, la garnissent de miel, de fruits secs, de fleur d’oranger. Chaque geste est précis, transmis de génération en génération.
Meknès, c’est aussi le monumental bassin Sahrij Souani, construit pour stocker l’eau sous Moulay Ismaïl. Ses voûtes impressionnent, sa surface d’eau reflète le ciel. Autour, des couples se promènent, des enfants courent, des adolescents rient. Dans les rues, des fresques colorées racontent une autre histoire, celle des jeunes graffeurs qui s’emparent des murs pour exprimer leur ville, leur époque.
L’Institut français de Meknès est un poumon culturel. Installé dans un parc de trois hectares, il propose cinéma, théâtre, concerts, expositions. Chaque année, il organise le Festival international de cinéma d’animation (FICAM), unique en Afrique, qui attire des professionnels du monde entier.
Benguérir, la cité du savoir
La route file plein sud. Le paysage change: les collines verdoyantes laissent place à une plaine aride, presque désertique. Au milieu surgit une ville nouvelle: Benguérir. Rien ici n’évoque les médinas anciennes ou les kasbahs. Benguérir est une cité du futur, façonnée autour de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), inaugurée en 2017.
Le campus, dessiné par l’architecte Ricardo Bofill, impressionne. 80 hectares de bâtiments modernes, de laboratoires, de bibliothèques, d’espaces de coworking. Des lignes épurées, des volumes monumentaux, une architecture qui semble vouloir défier le désert. On y étudie l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables, l’agriculture durable, la santé. On y mène des recherches appliquées, pensées pour le Maroc et pour l’Afrique.
Tarfaya, aux confins de l’imaginaire
Encore plus au sud, la route longe l’océan. Le vent se lève, chargé de sel. Les dunes s’approchent, jaunes, infinies. Enfin, Tarfaya surgit, petite ville entre mer et sable. Ici, le temps semble suspendu.
Sur la côte, le fort anglais construit en 1916, la Casa del Mar battue par les vagues, rappellent une histoire ancienne. Mais c’est surtout la mémoire d’Antoine de Saint-Exupéry qui habite les lieux. L’écrivain-aviateur vécut ici 18 mois, dans les années 1920, lorsqu’il travaillait pour l’Aéropostale à Cap Juby.
Le musée Saint-Exupéry en garde la trace. Dans ses salles simples, des photos, des lettres, des objets évoquent le pilote-écrivain. Dehors, la piste où atterrissaient les avions n’a pas changé. Les habitants se souviennent de récits transmis: les pilotes qui réparaient leurs appareils sous le soleil, les rencontres avec les tribus locales, les nuits froides passées sous les étoiles. À Tarfaya, le temps ne s’écoule pas comme ailleurs. Il se dilate, se mélange, se confond.
De Tanger à Tarfaya, le voyage aura parcouru 1.500 kilomètres et traversé des mondes multiples. Tanger la cosmopolite, Tétouan la spirituelle, Meknès l’éternelle discrète, Benguérir la futuriste, Laâyoune la prospère, Tarfaya la légendaire.
Chaque étape a offert un visage différent du Maroc, chaque rencontre a apporté une voix singulière. De tout cela naît une évidence: le Maroc est un récit en mouvement. Un récit qui s’écrit dans ses ruelles, dans ses places, dans ses campus, dans ses dunes. Un récit qui conjugue héritage et modernité, mémoire et innovation. Un récit qui, à chaque étape, ouvre une promesse de voyage.








