Parce que la mode est aujourd’hui pour l’Afrique un puissant levier de créativité et de développement économique, d’innovation, pourvoyeur d’emplois, en particulier pour les femmes et les jeunes, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a dressé le premier état des lieux de l’industrie de la mode à l’échelle du continent, et dessine également des perspectives pour son avenir.
Un continent aux nombreux atouts
La mode en Afrique est aujourd’hui une industrie en plein essor. Pour preuve, des Semaines de la mode mettent le marché et la création en effervescence dans pas moins de 32 pays du continent. Aujourd’hui, des villes comme Abidjan, Casablanca, Dakar, Johannesburg, Lagos et Nairobi sont devenues des plaques tournantes de la mode et du design, en plus d’être des pôles financiers et commerciaux.
Le secteur de la mode en Afrique bouillonne d’opportunités, porté par l’essor des classes moyennes, une population jeune et croissante, une urbanisation rapide et le développement des technologies numériques. Ainsi, explique Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, en préambule de ce rapport de 82 pages, «l’expansion du commerce électronique, auquel ont eu recours 28% d’Africains en 2021, contre 13% en 2017, a élargi les clientèles locales. Elle a concomitamment accru les opportunités de développement international pour les marques africaines, dont les exportations annuelles de textiles, de vêtements et de chaussures se chiffrent à 15,5 milliards de dollars hors du continent».
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Les créateurs de mode africains jouent ainsi un rôle très important au sein du tissu économique local. Couvrant l’ensemble du continent, ils sont non seulement les gardiens de la diversité des pratiques et expressions culturelles, mais aussi générateurs d’emplois locaux, car ils constituent également un puissant levier pour donner leur chance aux jeunes qui souhaitent se lancer dans le secteur.
En effet, en s’inspirant souvent des techniques et savoir-faire traditionnels, ils génèrent des retombées économiques concrètes pour les communautés, tout en contribuant activement à redéfinir l’image du continent. L’étude souligne ainsi les opportunités économiques et sociales offertes par un secteur composé à 90% de petites et moyennes entreprises et dont les profits bénéficient directement aux populations.
Des enjeux de taille et de nombreux défis à relever
Mais malgré de nombreux atouts, relève l’UNESCO dans ce rapport, le secteur de la mode en Afrique peine encore à atteindre son plein potentiel. Plusieurs obstacles sont identifiés, et l’on pointe notamment du doigt un manque persistant d’investissements et d’infrastructures, mais aussi des systèmes d’éducation et de formation limités, une protection insuffisante de la propriété intellectuelle, ainsi que des difficultés à accéder à de nouveaux marchés ou encore à s’approvisionner en matières premières de qualité à un prix abordable.
L’UNESCO considère ainsi que les protections juridiques des designers et des professionnels doivent être renforcées en termes de droits de propriété intellectuelle, de niveaux de rémunération, de conditions de travail et de capacité à s’organiser en syndicats professionnels et de droits sociaux. Dans ce but, l’organisation aide déjà 23 pays africains à améliorer le statut des artistes par le biais de lois et de réglementations.
Il faut également investir dans les petites et moyennes entreprises, ou encore fixer des normes environnementales. A ce sujet, analyse-t-on dans ce rapport, «même si l’industrie de la mode reste l’une des industries les plus polluantes, l’Afrique peut utiliser davantage les matériaux locaux, innover autour des textiles durables et sensibiliser aux modes de consommation durables. La production de fibres de coton biologique en Afrique a déjà augmenté de 90% entre 2019 et 2020 et représente désormais 7,3% de la production mondiale. Le marché des vêtements de seconde main est l’un des plus dynamiques au monde – représentant un tiers des importations mondiales – mais souffre encore du manque de filières de recyclage, puisque 40% de ces vêtements finissent dans les décharges, voire dans les océans et rivières.»
Enfin, la transmission des savoir-faire traditionnels dont l’Afrique est si riche ainsi que les techniques en textiles uniques doivent être protégées et améliorées. Le rapport encourage ainsi les pays à mettre en place des programmes de mentorat pour garantir que ces pratiques soient transmises de génération en génération et puissent continuer à inspirer les jeunes designers. Dans le même temps, l’UNESCO appelle à augmenter le nombre de qualifications disponibles dans les professions clés connexes - contrôle qualité, droit commercial, marketing - et dans la formation aux nouvelles technologies, comme l’impression 3D et le commerce électronique.
De la nécessité de politiques publiques
Mais au-delà de l’identification des freins au développement de ce secteur en Afrique, le but de ce rapport est aussi d’examiner les principaux défis et tendances qui façonnent le secteur de la mode, du textile et des métiers d’art en Afrique, afin de fournir des recommandations politiques fondées sur des données probantes pour sa croissance durable.
Parmi ces enjeux, il y a celui de la transformation numérique du continent, que l’UNESCO accompagne. En effet, explique Audrey Azoulay, «ces nouveaux usages sont porteurs d’innovations qui concourent au développement d’une industrie qui pourrait à elle seule apporter 25% de gains de prospérité au continent».
Autre enjeu de taille pour ce secteur: devenir un tremplin puissant pour l’égalité des genres, alors que seulement 17% des 3,5 millions d’agriculteurs vendant du coton sont des agricultrices. «Les marges de progrès sont considérables en la matière, à l’heure où l’Afrique a les moyens de devenir un acteur majeur de la production mondiale de coton durable et biologique», poursuit la directrice générale de l’UNESCO.
Il s’agit aussi, en Afrique comme ailleurs, de considérer les enjeux environnementaux du secteur, l’un des plus polluants au monde. «Pour bâtir un écosystème de la mode solide et vertueux, les gouvernements et les décideurs politiques doivent pouvoir s’appuyer sur des données fiables, ainsi que sur les contributions des experts du secteur et de la société civile», analyse Audrey Azoulay.