À la date du 17 décembre, près de 54.084 kilomètres carrés du territoire national étaient recouverts de neige, un niveau rarement observé ces dernières années. Une semaine plus tard, au 24 décembre, les barrages affichaient un volume global de 5.821 millions de mètres cubes d’eau disponibles, portant le taux de remplissage national à 34,7%. En l’espace de deux semaines, les apports hydriques ont été estimés à environ 300 millions de mètres cubes. Après six années consécutives de stress hydrique, ces chiffres ont été accueillis comme un signal encourageant, mais invitant à la prudence, indique le quotidien Les Inspirations Eco.
Cité par le quotidien Les Inspirations Eco dans son édition du 29 décembre, Kamal Aberkani, expert en sciences de l’agriculture à l’Université Mohammed Premier de Nador, explique que «ces précipitations dessinent un scénario favorable à court terme. Bien que tardives, elles ont permis de sauver le lancement de la campagne agricole d’automne, de redonner vigueur au couvert végétal nécessaire à l’alimentation du bétail et d’offrir un répit aux nappes phréatiques». Toutefois, l’expert invite à nuancer cet optimisme, estimant qu’une lecture strictement globale de la situation pourrait conduire à des conclusions trompeuses.
Le taux moyen national de remplissage des barrages masque, en effet, de fortes disparités régionales. Les précipitations ont principalement bénéficié aux bassins du Nord-Ouest, notamment le Loukkos et le Gharb, ainsi qu’à certaines zones de l’Est. Dans ces régions, les niveaux de remplissage atteignent parfois près de 77%, offrant une perspective relativement sereine pour les mois à venir. À l’inverse, des bassins stratégiques pour l’agriculture marocaine, comme celui de l’Oum Er-Rbia, pilier de l’irrigation nationale, le Souss-Massa ou encore certaines parties de l’Oriental, restent dans une situation critique, avec des taux souvent inférieurs à 20%.
Cette répartition inégale de l’eau dessine un pays confronté à une véritable fracture hydrique. D’un côté, des zones où l’abondance relative permet d’envisager la campagne agricole avec prudence mais confiance. De l’autre, des régions agricoles majeures qui demeurent dépendantes de précipitations futures incertaines. Selon les spécialistes, le risque principal n’est plus seulement le manque d’eau, mais la discontinuité des apports. Si les mois de janvier, février et mars venaient à être secs, comme en 2022 et 2023, les cultures ayant profité des pluies de décembre pourraient subir un stress hydrique sévère avant leur maturité. Pour Kamal Aberkani, l’enjeu central réside désormais dans une répartition plus homogène de la ressource, à la fois dans le temps et dans l’espace.
Les données météorologiques confirment cette incertitude croissante. Également cité par Les Inspirations Eco, Houcine Youaabed, de la Direction générale de la météorologie, souligne que «si les dépressions observées en décembre sont habituelles pour la saison, leur intensité et leur concentration s’inscrivent dans un contexte climatique profondément modifié. Le Maroc est de plus en plus exposé à des phénomènes extrêmes liés au changement climatique, alternant longues périodes de sécheresse et épisodes pluvieux ou neigeux intenses et localisés». Cette nouvelle réalité accroît les risques, notamment ceux d’inondations soudaines ou de vagues de froid marquées. Le risque de gel, en particulier en janvier, constitue une préoccupation majeure pour les semis récemment installés.
Au-delà des indicateurs hydrologiques et climatiques, la situation actuelle révèle une autre fragilité, moins visible mais tout aussi déterminante: celle de la confiance des producteurs agricoles. Après plusieurs années de pertes successives, de nombreux agriculteurs hésitent à investir, en particulier dans l’arboriculture ou les cultures à forte valeur ajoutée, comme le raisin de table. L’absence de garanties quant à la disponibilité de l’eau sur l’ensemble du cycle de production freine les décisions d’engagement financier. Investir en début d’année devient un pari risqué si l’irrigation est interrompue en plein été, lorsque les besoins hydriques sont à leur maximum. Ce climat d’incertitude pèse durablement sur la dynamique du secteur agricole.
Face à ce constat contrasté, les autorités semblent amorcer un changement d’approche. Selon Kamal Aberkani, «le Maroc s’oriente vers une gestion de l’eau considérée non plus comme une ressource cyclique, mais comme un risque structurel permanent. Que les barrages soient bien ou mal remplis, les stratégies de diversification s’imposent comme des constantes : développement du dessalement, interconnexion des bassins hydrauliques, généralisation de l’irrigation de précision». L’eau tend ainsi à être traitée comme un investissement stratégique, au même titre que les intrants agricoles essentiels.








