Tribune. Avenir du travail et besoins futurs: anticiper ou subir

Jamal Belahrach.

TribuneIntelligence artificielle, automatisation, économie verte et numérique imposent déjà de nouvelles compétences. Alors que l’Europe, les États-Unis ou l’Asie s’y adaptent, le Royaume reste prisonnier de ses urgences immédiates. À l’heure où le Roi alerte sur le danger d’un «Maroc à deux vitesses», une question s’impose: saurons-nous anticiper pour transformer ces bouleversements en levier de prospérité partagée?

Le 17/09/2025 à 17h06

Notre pays est à un carrefour stratégique. Dans un monde traversé par une triple transition: technologique, écologique et démographique, le travail de demain ne ressemblera en rien à celui d’hier. Intelligence artificielle, automatisation, énergies renouvelables, économie verte, télétravail, plateformes numériques: autant de bouleversements qui redéfinissent les emplois, les compétences et même le sens du travail. L’Europe, les États-Unis, l’Asie s’y préparent déjà. Et nous?

Au Maroc, nous avons trop souvent les yeux rivés sur les urgences du présent, alors même que les lignes de force du marché du travail mondial se redessinent sous nos yeux. La conscientisation nationale reste faible. Nos décideurs continuent de penser en termes de rattrapage, alors qu’il s’agit désormais d’anticipation et de se projeter dans le futur immédiat.

Pendant ce temps, des centaines de milliers de jeunes diplômés se sentent exclus, des femmes restent éloignées du marché du travail, nos régions périphériques décrochent, et une partie de nos talents choisit l’exil.

Un futur marché du travail renouvelé

Le futur du travail n’est pas une projection abstraite: il se construit déjà sous nos yeux. Les grandes études européennes mettent en évidence la recomposition rapide des emplois sous l’effet des transitions technologique et écologique:

  • Les emplois routiniers et répétitifs sont les plus menacés par l’automatisation et l’intelligence artificielle;
  • À l’inverse, les métiers qui complètent la technologie, data, cybersécurité, IA, conception durable, gagnent en valeur;
  • La transition verte fait émerger de nouveaux métiers, mais exige des requalifications massives.

Au Maroc, cela signifie que l’ouvrier de l’automobile devra demain maîtriser des logiciels d’IA embarquée, que l’ingénieur du bâtiment devra intégrer les normes d’efficacité énergétique, et que les métiers du soin, du tourisme ou de l’éducation devront être revalorisés et dotés de nouvelles compétences.

Mais ce futur n’est pas neutre. Nous faisons déjà face à une polarisation accrue. D’un côté, une élite urbaine hautement qualifiée et intégrée dans les chaînes de valeur mondiales. De l’autre, une masse de travailleurs précaires cantonnés aux emplois informels. À cela s’ajoute une fracture territoriale entre régions dynamiques et régions laissées pour compte.

C’est précisément ce que Sa Majesté le roi Mohammed VI a dénoncé dans son discours du Trône: le risque d’un «Maroc à deux vitesses», entre ceux qui bénéficient de la modernité et ceux qui en sont exclus. Ce constat vaut plus que jamais pour l’avenir du travail.

Le nouveau paradigme numérique: une urgence nationale

Le futur du travail sera numérique ou ne sera pas. L’Europe, les États-Unis et la Chine investissent massivement dans l’intelligence artificielle, les plateformes de données et la cybersécurité. C’est un changement de paradigme: la technologie n’accompagne plus le travail, elle en devient l’ossature.

Or, le Maroc reste encore à distance de ce virage. Trop souvent, le numérique est réduit à des discours, des événements ou à des projets pilotes, quand il devrait irriguer l’ensemble de notre économie et de notre société. Nous devrions y être pleinement engagés. Avec la tête (une vision claire), le cœur (un engagement patriotique), et les pieds (des réalisations concrètes sur le terrain).

Sans cela, le numérique restera juste une intention, deviendra un facteur supplémentaire d’inégalités, alors qu’il peut être une formidable opportunité d’inclusion et de souveraineté.

Une responsabilité partagée

Ce futur n’est pas écrit d’avance. Il dépend de nos choix collectifs. L’État doit jouer son rôle de stratège en anticipant les mutations et en investissant dans les compétences d’avenir. Les entreprises, de leur côté, sont appelées à repenser leur organisation, à intégrer la durabilité et à investir dans la formation de leurs collaborateurs. Les syndicats, quant à eux, doivent aller au-delà de la simple défense des acquis et s’engager dans la négociation des métiers de demain. Les salariés sont également concernés puisqu’ils doivent accepter une logique d’apprentissage continu et de mobilité. Enfin, les acteurs de la formation ont la responsabilité de refonder leurs méthodes afin de les adapter aux besoins réels du marché.

Cinq priorités pour le Maroc:

  1. Créer un Observatoire du futur du travail et des compétences, avec une gouvernance ouverte et inclusive.
  2. Repenser la loi 60.17 sur la formation continue, pierre angulaire de l’économie du savoir. Elle doit être revue à l’aune de ce nouveau monde du travail avec une focale sur la formation tout au long de la vie.
  3. Mettre en place un plan national de transition juste, pour accompagner les travailleurs fragilisés et investir dans les territoires vulnérables en impliquant les collectivités territoriales.
  4. Réinventer le dialogue social, afin d’intégrer les grands enjeux: IA, transition verte, hybridation du travail.
  5. Mobiliser notre diaspora, véritable atout stratégique pour accélérer notre adaptation et transférer les savoir-faire.

Momentum Maroc

Le Maroc s’apprête à accueillir la Coupe du Monde 2030, à devenir un hub énergétique africain et méditerranéen, et à renforcer sa souveraineté industrielle. Mais ces ambitions n’auront de sens que si nous plaçons le capital humain au centre. Nous devons penser à l’horizon 2040.

Le vrai défi n’est pas seulement économique. C’est un défi sociétal et civilisationnel: voulons-nous être spectateurs des bouleversements du travail, ou plutôt des acteurs qui les transforment en levier de prospérité partagée?

Appel aux partis politiques: les élections législatives 2026 sont là, à vous de jouer!

L’histoire ne nous attendra pas. Le futur du travail se construit maintenant. Ne pas anticiper, c’est subir. Anticiper, c’est choisir notre destin.

Par Jamal Belahrach
Le 17/09/2025 à 17h06