Transferts des MRE: un léger repli qui cache un potentiel inexploité

Un assortiment de billets de banque de différentes coupures de la monnaie européenne, l'euro, et de la monnaie américaine, le dollar. (Photo d'illustration)

Après avoir doublé entre 2019 et 2024, les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE) connaissent un léger recul en 2025. Si cette baisse est surtout conjoncturelle, elle met en lumière la nécessité de mieux valoriser ces fonds vitaux pour l’économie marocaine.

Le 23/09/2025 à 12h43

Les Marocains du monde constituent depuis longtemps l’un des poumons financiers du pays. En quelques années à peine, leurs envois d’argent ont atteint des sommets inédits. «Les transferts des MRE ont doublé entre 2019 et 2024, passant de 59 milliards de dirhams à près de 120 milliards», rappelle Mohammed Jadri, économiste marocain que nous avons interrogé. Ces montants astronomiques ne sont pas de simples données comptables. Ils incarnent une réalité sociale et économique profonde, où l’attachement à la famille et au pays d’origine se traduit par des gestes financiers quotidiens.

La majorité de ces fonds est absorbée par la solidarité familiale. L’économiste insiste: «Entre 60 et 70% des transferts vont directement aux familles. C’est grâce à cela que beaucoup de ménages marocains arrivent à clôturer leurs mois et à faire face à leurs dépenses.»

L’importance de ces envois dépasse donc la seule dimension économique: ils contribuent à maintenir une certaine paix sociale en assurant aux foyers une stabilité minimale. Une autre partie significative, de l’ordre de 25 à 30%, se retrouve dans le système bancaire sous forme d’épargne. Même immobilisé sur les comptes, cet argent alimente la liquidité bancaire et renforce la capacité des établissements à financer les entreprises, soutenant ainsi l’activité économique. Enfin, à peine 10% des transferts sont consacrés à l’investissement, souvent orienté vers des secteurs traditionnels comme l’immobilier ou la restauration.

Au-delà de leur dimension sociale, les transferts des MRE jouent un rôle vital dans l’équilibre macroéconomique. Le Maroc importe davantage qu’il n’exporte, et ses ventes de biens à l’étranger ne couvrent qu’environ 60% de la facture totale des importations. «Le reste doit être financé par d’autres sources: l’endettement extérieur, les investissements directs étrangers, ou encore les recettes issues du tourisme et des transferts des MRE», précise notre source. Sans cet apport régulier en devises, le pays serait contraint d’accroître son recours à l’endettement, avec un alourdissement inévitable de ses charges futures.

Dans ce contexte, le léger repli observé en 2025 attire l’attention. Les données de l’Office des changes indiquent qu’à fin mars, les transferts ont reculé de 6,2% en glissement annuel, atteignant 26,22 milliards de dirhams. Trois mois plus tard, la baisse s’est réduite à 2,6%, avec un total de 55,86 milliards. À fin juillet, l’écart par rapport à 2024 s’élevait à environ 680 millions de dirhams. L’économiste se veut rassurant: «Ce n’est pas trop grave pour l’économie marocaine. Nous restons toujours à des niveaux records. L’année dernière, entre janvier et juillet, on a observé un volume de 69 milliards de dirhams. Cette année, nous en sommes à 68 milliards.» Pour lui, il ne s’agit pas d’un retournement structurel, mais d’un simple ajustement lié aux turbulences que traversent les pays européens.

En effet, la baisse des transferts s’explique largement par le contexte économique international. La diaspora marocaine est concentrée dans des pays comme la France, l’Espagne, l’Italie, la Belgique ou l’Allemagne. Or, ces économies sont aujourd’hui secouées par une inflation persistante, une croissance ralentie et parfois des tensions sociales et politiques. «Tout cela réduit la capacité des MRE à envoyer autant d’argent qu’avant», analyse Mohammed Jadri. Quand le pouvoir d’achat des expatriés est sous pression, les envois de fonds s’en ressentent automatiquement. L’explication est donc davantage conjoncturelle que structurelle: la volonté de soutenir les familles demeure, mais les moyens financiers s’amenuisent.

Cette situation rappelle cependant une réalité: la manne des transferts, aussi considérable soit-elle, reste encore mal exploitée dans sa composante productive. Aujourd’hui, seuls 10% des fonds envoyés sont investis, essentiellement dans des secteurs traditionnels comme le foncier, le bâtiment ou les commerces de proximité. «Il s’agit d’activités à faible intensité de valeur ajoutée et à faible capacité de création d’emplois, dont l’impact sur la croissance et le développement reste limité», regrette l’économiste. Selon lui, le Maroc devrait encourager ses ressortissants à diriger leur argent vers des filières stratégiques et porteuses comme les énergies renouvelables, la santé, le numérique, le tourisme ou encore l’industrie automobile. «On peut faire beaucoup mieux avec l’argent des MRE. Imaginez entre 15 et 20 milliards de dirhams par an investis dans ces secteurs. Là, on créerait des emplois et de la richesse pour le pays.»

L’économiste insiste également sur la nécessité de réduire les coûts liés aux transferts. Aujourd’hui, envoyer de l’argent vers le Maroc coûte plus cher aux MRE que pour d’autres diasporas. «Quand on compare aux diasporas asiatiques ou latino-américaines, les Africains sont ceux qui payent le plus. Il faut digitaliser, diversifier les canaux et rendre ces transferts moins coûteux», explique-t-il. La digitalisation des services financiers et l’apparition de nouvelles plateformes de transfert pourraient jouer un rôle crucial dans cette transformation.

L’accompagnement de l’investissement, la création de guichets uniques et l’instauration d’incitations fiscales spécifiques pourraient constituer des leviers pour transformer cette manne en capital productif.

La baisse observée en 2025 n’a donc rien d’un effondrement. Elle illustre plutôt la sensibilité des flux financiers de la diaspora aux soubresauts économiques des pays d’accueil. Elle agit aussi comme un rappel que le Maroc ne peut pas se contenter de la dépendance à ces transferts, aussi massifs soient-ils, sans chercher à mieux les orienter. Comme le résume Jadri, «nous sommes toujours à des niveaux records, mais nous pouvons faire encore mieux si nous optimisons l’utilisation de ces fonds».

Le pays a donc devant lui un double défi: sécuriser la régularité des envois en facilitant les conditions pour les expatriés et transformer une partie de ces flux en investissements productifs capables de soutenir une croissance inclusive. En d’autres termes, il ne s’agit pas seulement de recevoir l’argent de la diaspora, mais de lui offrir les moyens d’être pleinement actrice du développement national.

Par Camilia Serraj
Le 23/09/2025 à 12h43