TIC, ce pilier discret mais stratégique des finances publiques

En 2024, les taxes intérieures à la consommation ont généré 35,98 milliards de dirhams, ce qui représente plus du quart des recettes issues des impôts indirects et plus de 11% de l’ensemble des recettes fiscales.. Dr

Revue de presse Issues d’un système fiscal hérité de l’époque coloniale et maintenues malgré les réformes des années 1980, les taxes intérieures à la consommation continuent de jouer un rôle majeur dans les recettes de l’État. En 2024, elles ont généré près de 36 milliards de dirhams, s’imposant comme la quatrième source fiscale du pays et révélant un mécanisme essentiel pour stabiliser les finances publiques malgré la volatilité des marchés. Cet article est une revue de presse tirée de Challenge.

Le 08/12/2025 à 20h09

Les taxes intérieures à la consommation, plus connues sous le sigle TIC, constituent l’un des vestiges les plus persistants de la fiscalité instaurée sous le protectorat. Elles ont survécu à la grande réforme fiscale menée dans les années 1980 dans le cadre du plan d’ajustement structurel. L’ancien système n’a donc jamais totalement disparu. «Il s’est greffé au nouveau, créant un paysage fiscal hybride dont les TIC sont aujourd’hui l’un des marqueurs les plus visibles, ou plutôt les plus discrets», souligne le magazine hebdomadaire Challenge dans une analyse dédiée.

Gérées par l’Administration des douanes et impôts indirects, ces taxes sont en effet prélevées sur des produits largement consommés, tout en restant presque imperceptibles pour le citoyen. Dissimulées dans le prix d’achats courants comme le sucre ou le sel, elles jouent pourtant un rôle essentiel dans les comptes publics. Leur logique rejoint celle de la TVA, introduite en 1985, au point que les deux dispositifs se superposent parfois. Mais les TIC conservent un avantage: comme elles reposent sur une base relativement stable, elles atténuent les variations de recettes provoquées par les fluctuations de prix auxquelles la TVA est exposée. C’est particulièrement vrai pour les produits pétroliers dont les cours internationaux connaissent des mouvements brusques. Lorsque les prix mondiaux du pétrole chutent, la TVA diminue mécaniquement, alors que les TIC assurent un filet de sécurité en amortissant l’impact sur le budget de l’État.

En 2024, ces taxes ont généré 35,98 milliards de dirhams, ce qui représente plus du quart des recettes issues des impôts indirects et plus de 11% de l’ensemble des recettes fiscales, selon les données de la Trésorerie générale du Royaume. «Elles constituent la quatrième source fiscale du pays, derrière la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu», précise Challenge. La TGR distingue trois grandes catégories : la TIC sur les produits énergétiques, qui a rapporté 17,98 milliards de dirhams, celle sur les tabacs manufacturés, avec 14,43 milliards, et une dernière rubrique intitulée «Autres» qui totalise 3,57 milliards.

Ces montants révèlent une réalité parfois ignorée. Les fumeurs figurent parmi les contribuables les plus constants, puisque chaque cigarette consommée est soumise à un niveau de taxation très élevé, combinant TIC et TVA. Les produits pétroliers sont eux aussi fortement taxés, même si, à long terme, cette source de revenus pourrait être fragilisée par la montée de la voiture électrique, sans que cette perspective ne menace les recettes immédiates. La catégorie «Autres», quant à elle, se dévoile davantage dans les documents budgétaires, où les TIC sont réparties en sept sous-groupes. Parmi eux, deux attirent particulièrement l’attention: la taxe sur les vins et alcools, dont le projet de loi de finances 2026 prévoit 1,48 milliard de dirhams de recettes, et celle sur les bières, estimée à 1,96 milliard. Ici encore, les consommateurs concernés participent largement à l’effort fiscal, notamment lorsqu’ils consomment dans les bars ou restaurants autorisés, où la taxation inclut également la TVA.

Cette forte pression fiscale atteint toutefois ses limites. Le ministre délégué chargé du Budget l’a rappelé récemment en commission des finances, en rejetant un amendement visant à augmenter encore la taxation sur les tabacs manufacturés. Selon lui, dépasser un certain seuil risquerait de produire l’effet inverse: une baisse de la demande, voire une migration vers des circuits informels, ce qui réduirait les recettes. Si cette évolution aurait un impact positif sur la santé publique, elle mettrait en péril un équivalent budgétaire devenu difficile à remplacer.

Un autre paradoxe traverse ces prélèvements. Les recettes tirées des taxes sur les boissons alcoolisées, pourtant liées à des produits dont la consommation est socialement et religieusement sensible, se fondent ensuite dans le budget général, perdant toute spécificité. Elles participent alors au financement de projets publics, y compris la construction de mosquées, dans un pays où la Constitution affirme que l’Islam est la religion de l’État tout en garantissant la liberté des cultes. Cette situation illustre ce que certains observateurs qualifient d’opportunisme fiscal: une gestion pragmatique des finances publiques davantage guidée par l’impératif de l’équilibre budgétaire que par une vision cohérente intégrant les enjeux sociaux, sanitaires et économiques. Le pilotage se fait au jour le jour, sans refonte globale du modèle, perpétuant une structure fiscale héritée du passé et surtout soucieuse de préserver le statu quo.

Par La Rédaction
Le 08/12/2025 à 20h09