Secteur de la minoterie: le Conseil de la concurrence dresse un constat alarmant sur un modèle à bout de souffle

Entrepôt de farine (photo d’illustration).

Le Conseil de la concurrence livre un diagnostic approfondi sur le secteur de la minoterie. Derrière la stabilité apparente des prix et l’approvisionnement continu, un avis de l’instance présidée par Ahmed Rahhou met en lumière des fragilités structurelles, une forte dépendance vis-à-vis des importations, des distorsions concurrentielles et une architecture de subventions à bout de souffle, appelant à une réforme en profondeur du secteur.

Le 08/12/2025 à 15h15

Au cœur de la sécurité alimentaire nationale, le secteur meunier marocain se trouve confronté à des tensions multiples. Étroitement dépendant de la production et des importations de blé tendre, ce marché subit de plein fouet les effets du changement climatique, les crises géopolitiques et la volatilité des cours mondiaux, indique le Conseil de la concurrence dans un avis qu’il vient de publier.

Malgré les efforts de l’État pour stabiliser les prix et sécuriser l’approvisionnement, la surcapacité de production et l’interventionnisme public ont généré des dysfonctionnements structurels, note-t-il, soulignant que ces déséquilibres pèsent sur la compétitivité du secteur et fragilisent l’ensemble de la chaîne de valeur.

L’avis s’est appuyé sur l’analyse du cadre juridique, de la cartographie des acteurs, des mécanismes de subvention et de leur impact sur le jeu concurrentiel ainsi que sur la gouvernance de la filière céréalière.

Le système actuel repose, relève le conseil, sur un équilibre complexe entre encadrement étatique et ouverture partielle au marché. Les prix de soutien ont structuré la filière et facilité la planification des acteurs, mais ils masquent une dépendance croissante aux importations.

Les aléas climatiques affectent directement la production nationale, notamment celle du blé tendre, tandis que les subventions pèsent lourdement sur le budget de l’État. À moyen terme, cette pression financière devient difficilement soutenable.

Le Conseil insiste sur la nécessité d’une transformation structurelle de l’agriculture céréalière, à travers le recours à des variétés résistantes à la sécheresse et à des pratiques agricoles durables, adaptées à un pays à ressources hydriques limitées.

Le cadre juridique poursuit trois objectifs: protéger la production nationale, garantir un approvisionnement stable et préserver la concurrence. Il combine subventions, restrictions temporaires à l’importation et incitations fiscales, au prix d’une complexité qui brouille parfois la lisibilité du marché.

Des rendements en progrès, mais un socle fragile

La productivité céréalière a progressé de 42% entre 2003 et 2019 grâce à la modernisation, aux semences certifiées et à la mécanisation. Toutefois, ces gains restent en deçà des standards internationaux.

Les sécheresses, la fragmentation des exploitations, la réduction des surfaces cultivées et le faible accès aux intrants de qualité continuent de freiner la performance du secteur. La paupérisation du monde rural constitue un obstacle structurel à toute montée en gamme.

La qualité des intrants demeure un point de rupture pour la filière meunière. Les minoteries peinent à s’approvisionner en blé local répondant aux standards requis, en raison de l’insuffisance de semences sélectionnées et du faible investissement en recherche agronomique.

Le prix de référence du blé tendre, resté quasi inchangé depuis des décennies, pénalise la production de qualité et favorise la logique de volume. Les mécanismes de bonification pour la qualité restent peu effectifs.

Enfin, l’absence de cadre opérationnel pour la constitution d’un stock de sécurité, pourtant prévu par la loi, limite la capacité de réaction du pays en cas de crise d’approvisionnement.

Un marché fragmenté et en surcapacité

Le secteur est structuré par une dualité entre minoteries industrielles, fortement régulées, et minoteries artisanales, soumises à un cadre plus souple. Cette situation entretient une hétérogénéité du marché.

La fragmentation est particulièrement marquée pour le blé tendre, alors que certains segments, comme l’orge, sont plus concentrés. L’intégration verticale partielle, notamment dans l’importation et le stockage, confère un avantage aux grands acteurs et peut restreindre l’accès des plus petits aux matières premières.

Les disparités régionales de concentration accentuent les déséquilibres concurrentiels, avec des zones dominées par un seul opérateur et d’autres plus concurrentielles.

Le secteur souffre d’une surcapacité structurelle, alimentée par les politiques de subvention, en particulier la Farine nationale de blé tendre (FNBT), qui a encouragé la multiplication des minoteries au-delà des besoins réels du marché.

La structure des coûts est dominée par les matières premières importées, exposant les opérateurs aux chocs de prix internationaux. Les subventions ont permis de stabiliser les prix des farines de blé tendre, tandis que les produits à base de blé dur ont connu des hausses sensibles.

Un système de subventions à bout de souffle

La politique de compensation a joué un rôle central dans la stabilité des prix et la protection du pouvoir d’achat. Mais elle a aussi engendré des distorsions concurrentielles, freiné l’innovation et contribué à la surcapacité du secteur.

Les subventions sont majoritairement captées par les importateurs et les transformateurs. En 2022, près de 85% des aides ont bénéficié aux importateurs, au détriment des agriculteurs, renforçant la dépendance structurelle aux marchés extérieurs.

La production du pain subventionné a augmenté de près de 37% entre 2019 et 2024, avec pour corollaire une intensification du gaspillage alimentaire, faute de mécanismes efficaces de régulation de la distribution et de sensibilisation.

La FNBT, bien qu’importante pour la stabilité du secteur, constitue désormais un frein à la compétitivité. Sa suppression éventuelle ne suffirait pas à corriger les déséquilibres sans réformes structurelles plus larges.

La dépendance des minoteries aux subventions réduit les incitations à l’innovation et favorise les grands acteurs, au détriment des petites et moyennes structures. De plus, les farines subventionnées profitent aussi à des produits à forte valeur ajoutée, sans ciblage social précis.

Le gaspillage s’étend de la production à la consommation, en raison de pertes post-récolte, de stockages inadaptés, de procédés de transformation obsolètes et de prix artificiellement bas.

Face à des contraintes budgétaires croissantes, le Conseil plaide pour une réorientation du modèle vers une stratégie intégrée, plus ciblée socialement et davantage orientée vers le renforcement de la production nationale et la résilience du secteur.

Ainsi, l’avis du Conseil de la concurrence met en lumière un secteur meunier à la croisée des chemins. Entre dépendance aux importations, fragilités structurelles, distorsions concurrentielles et coût budgétaire du système de subventions, la nécessité d’une réforme profonde apparaît désormais incontournable pour garantir la souveraineté alimentaire du Maroc et la durabilité de la filière.

Par Lahcen Oudoud
Le 08/12/2025 à 15h15