Face à une crise hydrique mondiale qui s’aggrave d’année en année, la dix-neuvième édition du Congrès mondial de l’eau, accueillie à Marrakech, a confirmé l’ampleur des défis qui attendent les décideurs. Dans un entretien au magazine hebdomadaire Challenge, Imane Messaoudi-Mattei, géographe, agronome et chercheuse à l’Institut des Sciences de l’Environnement de l’Université de Genève et au Geneva Water Hub, parle d’une pandémie de sécheresse durable et explique comment les tensions sur les ressources imposent un changement de paradigme. «Le congrès n’a pas seulement changé de format au fil des décennies, il a changé de nature», affirme-t-elle.
Selon elle, l’âge des réponses exclusivement techniques appartient au passé. Les discussions menées à Marrakech illustrent combien la crise de l’eau ne peut plus être abordée sous l’angle unique de l’aménagement ou de l’irrigation. «Le débat s’est déplacé vers une lecture beaucoup plus complexe des systèmes hydriques», souligne-t-elle, rappelant que les inégalités d’accès, les tensions entre usages, la justice hydrique et la fragilité des nappes phréatiques sont désormais au cœur des débats.
La chercheuse estime que cette évolution est liée à la prise de conscience, encore inégale, des États. «La simple amélioration des systèmes existants ne suffit plus. La prise de conscience est réelle, même si elle demeure hétérogène», explique-t-elle. Certains pays ont intégré la nécessité de réformes profondes, quand d’autres continuent de miser principalement sur la modernisation technique. Pourtant, dans un contexte où les sécheresses extrêmes deviennent la norme, les choix hydriques se transforment en enjeux sociaux et politiques majeurs. «La gestion de l’eau n’est plus une affaire d’infrastructures seulement, mais une question de résilience territoriale, d’équité et parfois même de cohésion nationale», insiste-t-elle.
Le Maroc illustre de manière aiguë cette mutation, écrit Challenge. Le pays traverse l’une des périodes de sécheresse les plus longues de son histoire récente, combinant effets du changement climatique, pression agricole et croissance urbaine. Pour y répondre, Rabat a massivement investi dans le dessalement, la réutilisation des eaux usées et les transferts interbassins. «Ce sont des investissements lourds, techniquement ambitieux, qui permettront de stabiliser l’accès à l’eau potable dans les années à venir», reconnaît Messaoudi-Mattei.
Mais elle met en garde contre une illusion de solution rapide. Car, selon elle, la crise la plus profonde est celle des territoires ruraux, où les nappes s’épuisent et où les agricultures familiales dépendent d’un accès à l’eau de plus en plus précaire. «Les tensions les plus fortes se jouent dans les territoires ruraux, là où les nappes sont cruciales et où les forages privés se multiplient», explique-t-elle. Le pays avance donc sur deux fronts: la modernisation technologique, très visible, et un second chantier plus discret mais déterminant, lié aux institutions, aux règles d’usage, aux arbitrages entre agriculture et villes et aux inégalités foncières. «C’est ce second chantier qui conditionne réellement la durabilité des réponses», prévient-elle.
Pour durablement affronter la crise hydrique, la chercheuse estime indispensable d’intégrer ceux qui vivent au plus près les effets de la pénurie. «Les petits et moyens agriculteurs demeurent les grands absents de nombreuses discussions, alors qu’ils sont au centre du système hydrique», observe-t-elle. Elle appelle à une gouvernance plus inclusive, fondée sur le dialogue et l’implication des acteurs locaux. «Une gestion durable de la sécheresse ne peut pas être seulement conçue depuis le haut. Elle suppose un effort de reconnaissance et de partage, où chacun a une place autour de la table», a-t-elle estimé.








