Penser les stocks, qu’est-ce pour commencer? Il s’agit des nécessités d’organiser un secteur, de garantir la disponibilité d’une ressource, de pouvoir l’employer ou la libérer selon les exigences. Cela interroge le rôle d’une panoplie d’acteurs étatiques, paraétatiques ou privés. Le principe tient à la réduction des dépendances des sociétés tout en maintenant leur fonctionnement habituel. C’est vrai pour les réserves, la diversification des sources d’approvisionnement ou encore la recherche de produits de substitution.
En d’autres termes, c’est la sensibilité conjuguée de l’économique, du social et du politique. Il faut prendre la juste mesure des implications et des coûts et s’interroger aussi sur l’acceptabilité des mesures proposées. Pour un pays, le prix à payer pour sa défense économique est en fait celui de son indépendance. Le besoin de stocks stratégiques interroge en filigrane une problématique plus large: celle de la résilience globale d’un pays.
Au Maroc, les indicateurs de stocks restent préoccupants. Ils sont de 30 jours pour les hydrocarbures, 1,9 million de mètres cubes pour les produits pétroliers liquides, un demi-million pour le gaz de pétrole liquéfié, soit le même seuil pour le butane et le gasoil. Problème: la législation en vigueur impose 60 jours pour les produits raffinés chez les distributeurs (Dahir-loi du 22 février 1973).
Voici un an, le gouvernement a annoncé une capacité de stockage supplémentaire. Il a aussi, dans cette même ligne, prévu 3 milliards de dirhams pour 2023, dont deux milliards pour les produits pétroliers liquides et un milliard pour le gaz butane. Il a ainsi pris en charge un gros dossier où il n’a pas vraiment un rôle direct, sauf à revoir le cadre juridique existant -c’est à l’étude, dit-on...
Il reste aussi à opérer cette réforme dans le cadre des orientations Royales, données par le Souverain dans le discours d’ouverture de la présente législature, en octobre 2021, dans le cadre de la création d’un écosystème national intégré du stock stratégique des produits dans les domaines sanitaire, énergétique, industriel, alimentaire ou autre.
L’usage des stocks demande des précisions. Un stock correspond à une quantité de matières (premières ou semi-transformées) et/ou de produits (finis ou en cours de fabrication) entreposés dans l’attente de leur utilisation ou de leur vente. Ce stock devient stratégique quand la nature du produit est telle que son absence, sa limitation ou son insuffisance entraîne des conséquences sur le bon fonctionnement de l’État, de la société, d’un domaine d’activité ou d’une entreprise jugés comme essentiels. La constitution de stocks a un triple coût d’immobilisation (capital, gestion, entrepôt).
À l’échelle nationale, ils permettraient de pondérer les effets des crises de surproduction ou de sous-production; d’anticiper aussi des renversements de tendances. Reste à définir la durée du stockage, les besoins estimés, les coûts aussi, mais également quelles matières peuvent être labellisées comme «stratégiques». Un choix politique: des contraintes conjoncturelles sont prises en compte, mais ce qui prévaut en dernière analyse, ce sont les matières premières absolument indispensables à la survie de la Nation.
Le marché ne s’autorégule pas; il serait irresponsable de confier la sécurité alimentaire aux marchés. Au plan global, la constitution des stocks se fait sur la base d’un triple choix: géopolitique d’abord, par la nécessaire prise en compte de l’environnement international, voire du retour de la compétition entre grandes puissances; stratégique ensuite, par la sélection de telle ou telle ressource; économique enfin, par un calcul sur la disponibilité des matériaux, leur consommation par l’industrie et leur répartition afin de couvrir les besoins civils et militaires.
La pandémie du Covid-19 a mis au premier plan l’intérêt pour des stocks sanitaires. Une majorité des États a été dans l’incapacité à fournir les équipements de protection individuelle et collective -le Maroc s’est, lui, distingué par sa mobilisation dans ce domaine.
Cela dit, il faut noter qu’en aucun cas les stocks ne sont la seule ressource à une crise des ressources: tant s’en faut. La stratégie est d’élaborer des réserves sans doute; mais il faut également se préoccuper des coûts induits: achat initial, immobilisation et gestion du stock, règles de libération, efficacité de la stratégie de reconstitution.
Des données fiables sont nécessaires; une bonne connaissance de la chaîne de valeur est requise; il en est de même pour la rapidité de l’acheminement de telle ou telle ressource. Enfin, au-delà des ressources stockées, il faut relever la particularité de la gestion: le stock est dynamique -il envoie un signalement stratégique en direction de la population, des partenaires et des compétiteurs.
Enfin, que penser des formes de «stock immatériel», celles des compétences et des savoir-faire qui sont un précieux capital humain? Elles garantissent, souvent, l’autonomie stratégique de l’État? Mais cela, c’est une autre histoire…