Pourtant garanti par l'Etat, le crédit Damane Relance n’est pas accordé à toutes les entreprises qui y recourent. Une fin de non-recevoir a été en effet opposée à certaines entreprises qui ont sollicité le crédit Damane Relance, destiné, comme son nom l'indique, à relancer leur activité après la crise sanitaire du Covid-19, dont les effets induits se font drastiquement ressentir sur l'économie du pays.
Si ces entreprises sont désireuses de contracter ce crédit, elles doivent en effet donner aux banques des garanties hypothécaires de premier rang sur des actifs qui sont la propriété de l'entreprise, ou encore solder d'anciens contentieux bancaires actuellement en cours avec des banques.
Les plaintes au sujet de ces conditions édictées par la CCG se multiplient actuellement, certes, mais pour l'heure, aucune statistique officielle n'est encore disponible pour prendre la pleine mesure de l'ampleur de ce phénomène.
«Les premières statistiques de Bank Al-Maghrib à ce sujet, qui établiront l’état des lieux à fin juin, soit deux semaines après le lancement de ce crédit, ne sont pas encore prêtes», souligne une source autorisée de Bank Al-Maghrib (BAM).
Toutefois, le taux d’impayés des crédits bancaires aux entreprises pourrait donner un ordre de grandeur sur le pourcentage des entreprises qui risquent d’être exclues des lignes de crédit Damane Relance. Les créances en souffrance enregistrées par les banques sur les crédits accordés aux entreprises non financières ont atteint 40 milliards de DH à fin 2019, soit un taux de 11% d’impayés. De fait, ce sont ainsi près de 11% des entreprises clientes du système bancaire marocain qui doivent renoncer, de facto, à bénéficier de Damane Relance.
A cela, s'ajoutent plusieurs autres milliers d’entreprises qui se voient contraintes de présenter des garanties hypothécaires pour aspirer à décrocher ce financement garanti par l’Etat. Il s’agit notamment des entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 10 et 500 millions de DH.
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Les mécanismes de garantie «Damane TPE» et «Damane Relance» consistent en effet à financer les besoins des entreprises en fonds de roulement, remboursables sur 7 ans, avec une période de grâce de 2 ans. Damane TPE cible les TPE, y compris les commerçants, artisans, coopératives et professions libérales. Il garantit à hauteur de 95% les prêts des entreprises générant un chiffre d'affaires annuel de moins de 10 millions de DH.
Le montant est plafonné à 10% du chiffre d’affaires, avec un minimum de 10.000 DH de ligne de crédit octroyée.
Quant à la ligne de crédit Damane Relance, celle-ci est est destinée aux PME et aux grandes entreprises réalisant un chiffre d’affaires compris entre 10 et 500 millions de DH. Le montant du crédit garanti est de 1,5 mois de chiffre d’affaires pour le secteur industriel et 1 mois pour les autres secteurs. Le taux d’intérêt appliqué, quant à lui, est plafonné à 3,5%.
Plusieurs chefs d'entreprises, qui ont voulu contracter le crédit Damane Relance, évoquent, pour Le360, des «motifs de rejet dissuasifs». Les décisions de refus de l'octroi de ce crédit par les banques sont en effet motivées, arguments à l'appui. BAM veille notamment au fait que ces décisions de rejet soient notifiées à leurs demandeurs, qui ne se contentent donc pas d'un simple refus. Les principaux motifs de rejet dissuasifs concernent donc l’existence de contentieux bancaires à solder, et l’exigence de présenter des garanties hypothécaires de premier rang sur des actifs que possède l’entreprise.
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Les conditions d’octroi du crédit «Damane Relance», qui avaient été édictées par la Caisse centrale de garantie (CCG), sont claires à propos de l’existence d’un contentieux bancaire. Cette ligne de crédit ne peut être accordée à des entreprises qui ont des créances compromises avec les banques. Une voix autorisée à Bank Al-Maghrib avait d'ailleurs bien précisé ce point, en réponse à une question posée par Le360: «l’entreprise ne doit pas avoir de crédit bancaire déclassé dans la catégorie des créances compromises au 29 février 2020».
Rappelons que sont classées dans la catégorie des créances compromises les soldes débiteurs non couverts pendant une année révolue, les encours des crédits amortissables ou remboursables en une seule échéance, ou encore les loyers des biens donnés en crédit-bail ou en location qui demeurent impayés 360 jours après leur terme.
S’ajoutent à cela, les encours des crédits par décaissement et/ou par signature, dont le recouvrement total ou partiel est peu probable du fait de considérations telles que la perte par la contrepartie de 75% ou du tiers de sa situation nette.
Il y a encore, comme motif de refus de l'octroi de ce crédit par les banques, l’introduction d’une action en justice, à l’encontre de la contrepartie pour le recouvrement des créances, la contestation, par voie judiciaire, de la totalité ou d’une partie des créances par la contrepartie, la cessation d’activité ou la liquidation judiciaire de la contrepartie, la déchéance du terme ou, en matière de crédit-bail ou de location avec option d’achat, la résiliation du contrat.
Dans ce cas de figure, les banques rencontrent beaucoup de difficultés d’appréciation des contentieux des demandeurs, notamment lorsque ce contentieux est enregistré auprès d'une banque autre que celle qui a reçu et traite la demande d'octroi d'un crédit Damane Relance. Mais de toutes façons, le rejet de l'octroi de ce crédit est automatique, après une simple opération de vérification: il suffit au banquier sollicité de consulter en ligne le service «CreditBureau», géré pour le compte de Bank Al-Maghrib par CréditInfo.
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Quelques banquiers casablancais ont bien voulu répondre aux questions posées par Le360, mais sous le couvert de l'anonymat, car selon l'expression de l'un d'entre eux, ils sont eux-mêmes dans une période de «blind test». Celui-ci ajoute, comme pour se dédouaner, que les banquiers ne font «qu’appliquer les conditions d’éligibilité édictées par la Caisse centrale de garantie».
Les banquiers reçoivent et traitent les dossiers, certes en fonction du profil de risque de l’entreprise demandeuse, mais sont obligés de circonscrire leur action dans le cadre mis en place par la CCG, en respectant, de surcroît, les règles prudentielles de BAM.
En tant que banquiers octroyeurs de cette ligne de crédit, leur marge de manœuvre est, de ce fait, un peu serrée. Il faut dire que cela fait un peu moins d’un mois que l’offre Damane Relance a été lancée. «Nous sommes en train d’énumérer les conditions qui peuvent freiner le succès et l’efficacité de cette mesure auprès des entreprises pour les remonter aux autorités de tutelle afin d’y introduire de nouvelles améliorations», indique ce banquier.
Cette évidence, à première vue: la condition de ne pas avoir de contentieux en cours avec une banque est contraignante pour les entreprises, et doit, vraisemblablement, faire l’objet de réaménagements. En effet, celle-ci risque, telle qu’elle est appliquée à la lettre à ce jour, d'exclure et de priver plusieurs milliers d’entreprises de ce mécanisme d’appui financier.
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Plusieurs chefs d'entreprises, contactés par Le360, ont reçu et transmis à cette rédaction des notifications de refus d’octroi du crédit Damane Relance, les banquiers exigeant des garanties hypothécaires de premier rang sur les actifs immobiliers pour pouvoir en bénéficier.
Pour l’exigence de ces garanties hypothécaires, la banque centrale du Royaume avait précisé, en réponse à une question posée par Le360, «qu’en fonction de l’analyse de risques, les banques peuvent demander des garanties liées aux projets à financer. Aucune sûreté n’est exigée en couverture des crédits «Damane TPE» à destination des Très Petites Entreprises (TMPE) dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions de DH. Pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 10 et 500 millions de DH, aucune sûreté personnelle et hors patrimoine de l’entreprise n’est exigée».
Or, cette exigence s’avère contraignante pour les entreprises candidates au crédit Damane Relance. «Nous sommes une entreprise industrielle implantée sur un terrain estimé à plus de 80 millions de DH et la banque nous demande de le lui donner en hypothèque en premier rang pour un crédit de 3 millions de DH sollicité dans le cadre de Damane Relance!», s'insurge un chef d’entreprise. La banque précise bien qu’elle rejette cette demande «sauf hypothèque de premier rang sur le titre foncier support de l’unité», quand bien même le crédit Damane Relance est garanti pour ces entreprises à hauteur de 80%.
La situation se complique davantage pour des entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de plus de 10 millions de DH, mais qui ne disposent pas d’actifs propres à donner en garantie. Celles-ci sont priées par la banque de présenter des demandes dans le cadre de facilités de caisse et d'autorisations de découverts. Le taux d’intérêt, en moyenne de 8%, est alors beaucoup plus important, et il devient donc largement suffisant pour couvrir le coût du risque bancaire et pour rémunérer le fonds mobilisé. Les banques s'en sortent gagnantes, par conséquent.
Mais qu'en est-il des entreprises, et, surtout, de la relance de l'activité économique du pays? Pour le moment, et en l'absence de statistiques globales sur l'octroi aux entreprises marocaines de la ligne de crédit Damane Relance, le flou demeure.