L’éclairage de Adnan Debbarh. Pour des «industries industrialisantes»

Adnan Debbarh.

ChroniqueLe ministère de l’Industrie va lancer incessamment un appel d’offres pour doter le Maroc d’une nouvelle stratégie industrielle. Stratégie qui devrait afficher les nouvelles ambitions du pays pour ce secteur, en évitant, cela va de soi, les erreurs et limites des expériences précédentes.

Le 15/05/2023 à 09h13

Le Maroc n’en est pas à son coup d’essai en matière de «stratégie industrielle». Depuis le début des années 70 du siècle dernier, avec plus ou moins de bonheur, nous avons testé plusieurs approches au gré des modes du moment et des cabinets-conseils retenus. Substitution à l’importation, sous-traitance et zones franches, contrats-programmes sectoriels, plan Émergence, pacte national pour l’émergence et enfin plan d’accélération industriel ont marqué l’histoire d’une industrialisation qui, tout en enregistrant de notables avancées, cherche toujours ses repères. En effet, bien que le secteur secondaire contribue à hauteur du quart au PIB et que nous avons pu constituer des écosystèmes mondiaux dans l’automobile et l’aéronautique, qui sont à juste titre objet de fierté, il serait irréaliste de considérer que ce qui a été réalisé remplit les conditions de l’émergence industrielle.

Loin de toute rhétorique, nous ne pouvons éluder le constat que le niveau de notre industrialisation demeure insuffisant pour entraîner des modifications positives et structurelles de notre économie, que la productivité du travail et du capital sont faibles et que, dans beaucoup de secteurs industriels, la valeur ajoutée n’est pas élevée. Si le processus d’industrialisation avait été correctement mené, il aurait entraîné, au-delà d’une forte hausse du PIB, l’introduction dans l’ensemble de l’économie de techniques et procédés qui auraient apporté rationalisation et hausse de productivité. La faible valorisation de nos ressources naturelles et humaines dans les secteurs primaire et tertiaire atteste de l’insuffisance de culture industrielle dans notre société ; comme est avérée notre faible productivité du capital et du travail, malgré un taux d’investissement sur PIB très élevé (>30%), la croissance économique n’atteint pas des niveaux satisfaisants ; et enfin la part importante des consommations intermédiaires (C.I.) dans nos importations pose toujours la problématique de la faible intégration de nos produits finis industriels et du niveau de la valeur ajoutée dégagée.

Il est évident qu’il ne sera pas demandé au cabinet adjudicataire de l’appel d’offres du ministère de l’Industrie d’apporter des réponses aux trois problématiques énumérées ci-dessus, car elles relèvent de la compétence de plusieurs ministères. Son intérêt devrait se porter sur la proposition de nouveaux métiers mondiaux que le Maroc pourrait développer sous forme d’écosystèmes. Il a déjà quelques pistes à travers les exigences de souveraineté qui se sont exprimées : sanitaire, alimentaire, énergétique, ensuite il y a l’incontournable secteur des hautes technologies et enfin les propositions nouvelles qui justifieraient l’intérêt de la mission.

Rappelons aussi que toute stratégie industrielle future devrait, c’est un truisme, privilégier: les secteurs à fort potentiel de création d’emplois et de richesses ; la complémentarité avec les secteurs existants afin d’éviter les fragmentations et développer les synergies ; l’harmonie avec les exigences de la Charte d’Investissement. Il y a un ajout de taille à ne plus omettre, le taux d’intégration et le niveau de participation des PMI locales. L’expérience de l’automobile et de l’aéronautique l’ont mis en évidence.

Une analyse fine de nos importations et notamment du poste consommations intermédiaires montre que notre tissu industriel demeure encore tributaire d’un nombre important d’intrants venant de l’extérieur, ce qui impacte la valeur ajoutée produite localement. La hausse de nos exportations s’est accompagnée de «l’explosion» du poste consommations intermédiaires. Nous ne profitons pas assez des marchandises produites au Maroc. Le phénomène est général, il ne peut être imputé uniquement à l’automobile et à l’aéronautique. Cela s’explique par l’absence d’un tissu dense de Petites et Moyennes Industries (PMI) capable de fournir les grandes entreprises exportatrices en intrants. Cette absence se fait durement sentir. Ce sont principalement ces PMI, au vu de leur nombre, qui irradient les bienfaits de l’industrialisation dans la société, augmentent la valeur ajoutée nationale et créent le plus d’emplois.

Aussi est-il demandé à «notre cabinet-conseil» de proposer les secteurs qui seront susceptibles de favoriser la création de PMI locales. Comme les organismes chargés de faire un second et troisième tri, la commission d’investissement et éventuellement le Fonds Mohammed VI, devraient «normalement» être attentifs au niveau de la valeur ajoutée créée et de l’implication du capital national.

Ayant eu le privilège de mener à Grenoble des recherches économiques sous la direction de Gérard Destanne de Bernis, père des «industries industrialisantes» algériennes ; il n’avait de cesse dans nos échanges et face aux reproches de l’échec de cette expérience de nous répéter que la bonne intelligence dans le choix de toute «locomotive» est sa capacité/son besoin de créer autour d’elle le maximum de PMI possible.

Ayant fait notre deuil de l’idée saugrenue que le Maroc pouvait se passer d’une véritable industrialisation en développant l’agriculture et les services principalement, il est temps pour nous de mener ce vaste chantier en étant armé de notre expérience et d’une grande ambition pour le Maroc.

Par Adnan Debbarh
Le 15/05/2023 à 09h13