Le dernier soubresaut d’Abdeslam Ahizoune

Abdeslam Ahizoune, président du Directoire de Maroc Telecom.

Abdeslam Ahizoune, président du Directoire de Maroc Telecom. . Le360

Essayant à tout prix de retarder l’intensification de la concurrence dans le secteur, le président du directoire de Maroc Telecom fait dans la désinformation quant à l’impact du partage des infrastructures et du dégroupage des boucles locales. Et si on recadrait le débat…

Le 25/02/2015 à 11h00

C’était prévisible! La conférence de presse pour la présentation des résultats annuels de Maroc Telecom, tenue le 23 février dernier, a été marquée par des débats houleux autour des dernières décisions de l’Agence nationale de réglementation des télécoms (ANRT) au sujet du partage des infrastructures de génie civil et du dégroupage de la boucle locale. Abdeslam Ahizoune, qui voit les bénéfices de son entreprise se stabiliser loin de leurs niveaux historiques (anormalement élevés), est allergique à cette thématique. Normal donc que le sujet provoque chez l’homme fort des télécoms une réaction hystérique: le partage des infrastructures est synonyme d’une plus grande exposition à la concurrence et, par ricochet, d'une baisse des prix qui engendrerait pour la nouvelle filiale d’Etissalat une baisse des revenus et des performances financières. Or, avec ce nouvel actionnaire qui entre en lice, Abdeslam Ahizoune risque son fauteuil et son confortable bureau au dernier étage de sa tour de Hay Ryad. Alors, pour lui, tous les moyens sont bons pour jouer la montre et retarder cette inévitable ouverture à la concurrence. Quitte à faire dans la désinformation…

Partager, c’est investir!«Le cadre réglementaire n’incite pas les opérateurs à investir», a lancé Ahizoune devant un parterre de journalistes. En termes à peine voilés, le président du directoire de l’opérateur historique laisse entendre que son entreprise est la seule à investir et que ses concurrents vont se contenter de profiter de ses propres infrastructures. Un raisonnement qui ne tient pas la route. L’Agence nationale de réglementation des télécoms (ANRT) avait auparavant démonté l’argumentaire farfelu de l’opérateur historique distillé à travers des articles de presse complaisants. «Le véritable investisseur n’est autre que le consommateur», avait expliqué l’agence de régulation. Comprenez, ce sont les factures exorbitantes des clients qui permettaient à IAM d’étendre ses infrastructures. Et encore, il faut rappeler qu’une bonne partie des infrastructures de Maroc Telecom sont héritées du temps où cette entreprise était un établissement public qui se nommait les PTT et avait le monopole absolu sur le secteur des télécoms. C’est donc l’Etat, avec l’argent du contribuable, qui a financé ces infrastructures que Si Abdeslam rechigne aujourd’hui à partager avec ses concurrents en les facturant à des prix de gros justifiables et dans des conditions non dissuasives.D’autre part, Maroc Telecom est loin d’être la seule entreprise à investir dans le secteur. Bien au contraire, alors que celle-ci concentre le gros de son budget à ses projets africains, ses concurrents se concentrent surtout sur le marché domestique. «Méditel a investi 4 milliards de dirhams sur les 4 dernières années. En 2014, nous avons investi 1,2 milliard et nous comptons augmenter ce budget en 2015», nous assure une source autorisée chez Méditel. «Nous projetons d’investir 10 milliards de dirhams dans les années à venir», surenchérit une source à Inwi avant d’ajouter: «Cette enveloppe porte sur un projet global qui va de la généralisation de la 3G+ sur l’ensemble du territoire au déploiement des équipements, en passant par le lancement et la généralisation de la 4G ainsi que le lancement des offres ADSL Inwi».

La concurrence fait mal!Mais voilà, Abdeslam Ahizoune aurait aimé que les investissements de ses concurrents aillent dans le creusement des chaussées juste pour tirer des câbles déjà en place et largement sous-exploités. Car le partage des infrastructures de génie civil et le dégroupage des boucles locales ne sont qu’une optimisation de l’existant. Et d’ailleurs, pour pouvoir en tirer profit, Méditel comme Inwi sont obligés d’investir dans des équipements et des liaisons non partageables tout en louant chez Maroc Telecom le «surplus» de ses infrastructures. Cette approche de partage, qui a été adoptée de par le monde, a donc le double mérite de favoriser un accroissement des investissements, de réduire les coûts et, de facto, une révision à la baisse des tarifs au profit des utilisateurs. A contrario, si Méditel et Inwi sont contraints de tout refaire à zéro, la durée de rentabilisation de leurs investissements prendrait beaucoup de temps et permettrait à Maroc Telecom d’offrir des tarifs, en apparence, plus bas que ses challengers, alors qu’ils sont en même temps anormalement élevés. C’est donc une position de «market-maker» qui est en jeu…De cette concurrence, Ahizoune ne veut pas. Il en a déjà fait les frais sur le segment du mobile. En effet, «à partir de 2009, le prix moyen de la minute mobile a fondu, passant de 1,4 dh/mn à 0,32 dh/mn en 2014», nous explique un connaisseur du secteur. Pendant cette période les bénéfices d’IAM sont passés de 9,3 milliards de dirhams à environ 6 milliards à la clôture de l’année 2014.Pour rester dans les petits papiers de son nouvel actionnaire de référence (Etissalat) à travers un niveau de bénéfice élevé, Ahizoune se battra jusqu’au bout pour éviter d’ouvrir un nouveau front de concurrence où les infrastructures ne seront qu’un détail comparé à la qualité de service et l’innovation en matière d’offres. Mais cet expert en matière de télécoms (cela personne ne peut l’enlever à Ahizoune), est bien placé pour savoir que le processus de démantèlement de son monopole est irréversible. D’ailleurs même Etissalat, sa maison mère, a dû passer par là.Si Abdeslam cherche d’ailleurs déjà à atténuer l’effet de cette ouverture à la concurrence. «Toute la discussion sur le partage d’infrastructures est une tempête dans un verre d’eau. Cela va impacter Maroc Telecom essentiellement sur l’ADSL qui représente à peine 5% du chiffre d’affaires du groupe», déclare-t-il devant la presse. Pourtant et contrairement à ces affirmations, la rentabilité de l’ADSL (mais aussi du fixe concerné par ces mesures) est loin d’être négligeable sur le marché domestique. Son agressivité en conférence de presse, face aux journalistes qui posent les questions qui gênent, ressemble au dernier soubresaut d’un président qui a accompli tant de choses mais qui sent que l’heure de passer la main n’est plus tellement loin…

Par Fahd Iraqi
Le 25/02/2015 à 11h00