Interview. Recherche sur la batterie lithium-ion au Maroc: le point avec Mouad Dahbi, professeur et chercheur à l’UM6P

Le professeur Mouad Dahbi.

Le professeur Mouad Dahbi. . DR

Après avoir obtenu un doctorat en chimie et électrochimie en France, le professeur Mouad Dahbi rejoint l’université de Tokyo, au Japon. En 2017, conscient du potentiel du Maroc dans la recherche sur les batteries lithium-ion à base de phosphate, il rejoint l’université Mohammed VI polytechnique.

Le 08/06/2020 à 09h35

Pourquoi avoir choisi de concentrer vos recherches sur la batterie Lithium-Ion ?Tout d’abord, je tiens à rappeler que le Nobel de la Chimie 2019 a été attribué aux concepteurs des premières batteries lithium-ion. Ces batteries sont aujourd’hui indispensables dans de nombreuses applications comme les smartphones, les véhicules électriques, le stockage des énergies renouvelables.

Le succès de ces batteries revient à leur grande capacité de stockage électrique qui permet ainsi une plus grande autonomie dans les applications nomades qui nécessitent une source d’électricité embarquée (comme les véhicules électriques).

La production d’énergie et son stockage ont des enjeux majeurs aujourd’hui partout dans le monde, et au Maroc en particulier. Notamment dans le cadre des systèmes de stockage qui sont nécessaires pour stocker l’électricité produite par des centrales solaires ou éoliennes, ou encore dans le cadre de la politique de mix énergétique. C’est pourquoi, dès la création de l’université et de son département Materials Science, Energy and Nano-engineering nous avons souhaité développer ce sujet de recherche qui répond à ce besoin.

Au sein de notre département et de l’équipe batterie, on s’intéresse bien entendu à la batterie au lithium-ion. Bien que celle-ci soit une technologie mature, elle présente encore quelques limites et champs d’amélioration. Ces batteries utilisent encore aujourd’hui certains métaux critiques et peu abondant comme le cobalt. Nous essayons donc de trouver des alternatives à ce métal en le remplaçant par des métaux moins chers et plus abondants (comme le phosphate, le manganèse, le nickel, etc.), sans pour autant impacter les performances.

Dans le même contexte, nous travaillons également sur la valorisation de certaines matières premières disponibles localement, comme du carbone produit à partir de sources locales ou des minerais tels que les phosphates que nous avons en abondance au Maroc.

Notre recherche ne se limite pas qu’aux batteries Lithium-ion, nous développons des nouvelles générations de batteries qui utilisent par exemple le sodium au lieu du lithium ainsi que d’autres batteries capables de stocker plus d’énergie que les batteries Lithium-ion et que l’on peut utiliser pour le stockage stationnaire (stockage de l’électricité produite par le solaire par exemple).

En résumé, notre recherche répond à un besoin global dans le domaine du stockage de l’énergie, que nous essayons de réaliser en tenant compte du contexte local et en privilégiant des ressources marocaines et africaines facilement disponibles.

Quelles sont les applications concrètes des batteries Lithium-Ion, sont-elles déjà utilisées au Maroc ?Les batteries au lithium-ion sont partout aujourd'hui, dans nos téléphones portables, ordinateurs, appareils électroniques. Nous les retrouvons également de plus en plus dans nos voitures et nos bus, etc. Ce type de batteries est promis à un bel avenir puisqu’elles ont déjà commencé à jouer un grand rôle dans la stabilisation des réseaux et dans le stockage de l'énergie solaire. Les batteries jouent un rôle important dans les énergies renouvelables et alimentent les recherches autour du stockage d’énergie.

Nous sommes maintenant sur la bonne voie pour réaliser de nouvelles innovations qui contribueront à apporter des améliorations au secteur du stockage d’énergie électrochimique, mais nous ne nous arrêterons pas là! Je crois que nous serons en mesure d'entrer sur le marché des véhicules, y compris les autobus électriques, qui élargira encore notre marché potentiel au cours des 4 à 5 prochaines années.

Nous sommes en train de mettre en place un consortium de chercheurs et industriels de renommée mondiale qui mettra en lumière ces nouveaux développements.

Les batteries sont fabriquées à base de phosphate, le Maroc en tant qu’un des premiers producteurs dans le monde a-t-il une carte à jouer dans ce domaine?C'est aussi une coïncidence si l'un des matériaux largement utilisés aujourd'hui dans les batteries pour le stockage stationnaire est basé sur le phosphate. Cet élément est abondant au Maroc, et une grande partie de nos recherches à l'UM6P est liée à la valorisation des matériaux à base de phosphate, également dans le secteur de la batterie lithium-ion.

Nous avons commencé par innover dans la recherche et la gestion de la recherche, en partenariat avec l’OCP, et en collaboration avec des chercheurs d'autres universités du pays et au-delà. Nous croyons fermement au pouvoir de notre intelligence collective qui prend en considération le contexte Morocco-Africain et les besoins réels de notre société.

Je crois qu'avec les efforts qui sont déployés actuellement, l'UM6P a le potentiel de devenir une université de premier plan dans le domaine du stockage électrochimique et d'avoir un impact de portée mondiale sur le marché du stockage d'énergie. C'est une université jeune, abritant de grands talents marocains et africains, qui met à notre disposition beaucoup d’agilité et une dynamique tournée vers l'avenir.

Quelle est la position du Maroc sur l’échiquier mondial au niveau de la recherche sur les batteries Lithium-Ion? Avec les moyens dont vous disposez, pourrait-on voir apparaître des brevets «Made in Morocco» sur les batteries Lithium Ion ?Nous sommes, comme toutes les équipes de recherche dans le monde, appelés à publier ou à annoncer nos résultats scientifiques lors de conférences et colloques nationaux ou internationaux.

L’équipe batterie au département MSN à l’UM6P publie plus de dix articles indexés par an et participe à nourrir les perspectives scientifiques dans plus de 15 conférences scientifiques au niveau national et international. Nous organisons aussi des conférences et workshops internationaux avec nos partenaires et collaborateurs.

Nous comptons parmi nos collaborateurs des instituts et universités prestigieuses. Des échanges, des visites et des séjours scientifiques sont souvent organisés pour nos étudiants en thèse dans ces établissements prestigieux.

Pour y arriver, le département et l’équipe batterie se sont dotés de moyens à la hauteur de ces ambitions. Nous disposons d’un ensemble d’équipements et outils uniques au Maroc et probablement sur toute l’Afrique, et nous continuons à nous équiper, car c’est une recherche qui nécessite un investissement important.

Je peux vous dire, moi qui ai fait une bonne partie de ma carrière à l’étranger, en France et au Japon, que notre équipe dispose des mêmes moyens que ceux disponibles dans ces pays développés.

Certains sujets arrivent à un stade de maturation qui nous pousse à envisager des dépôts de brevets.

Je suis satisfait du niveau de reconnaissance mondiale que nous avons atteint aujourd’hui, grâce à nos publications mais aussi grâce à un réseau de collaborations solides.

Aprés la France et le Japon, comment avez-vous atteri à l'Université Mohammed VI Polytechnique ?Tout a commencé avec la préparation de ma thèse de doctorat en France dans le cadre d’un projet industriel en relation avec le stockage d’énergie, à la fois scientifique et appliqué. J’ai ainsi évolué dans un environnement à la fois industriel et universitaire ce qui m’a permis de travailler sur un sujet de recherche ayant un potentiel d’application pour l’entreprise. J’ai eu ensuite l’opportunité d’approfondir ce sujet au Japon, un pays leader dans la technologie de la batterie lithium-ion, plus précisément à la «TokyoUniversity of Science» que j’ai rejoint en tant que Post-Doc pour ensuite occuper la fonction de Professeur Assistant.

La recherche dans les universités Japonaises est très exigeante au niveau de la qualité de la formation et nous demande également d’assurer un lien précieux entre les universités et les industriels dans le but d’accélérer le processus de transfert technologique, et passer de l’innovation à des réalisations pertinentes pour le marché. Un pragmatisme qui, pour moi, avait l’étoffe d’emmener mon propre pays plus loin et faire de la recherche scientifique un vecteur pour son développement industriel.

C’est ainsi qu’en 2017, j'ai entendu parler du département «Science des matériaux, Energie et Nanotechnologie», qui était fraîchement inauguré au sein de l'Université Mohammed VI Polytechnique. Au cours des discussions, j’y ai découvert une belle vision pour servir ces thématiques. Les laboratoires de premier ordre et le haut calibre de ces chercheurs qui ont rejoint du Maroc et de plusieurs universités mondiales réputées dans le domaine m’a persuadé de contribuer et mettre à la disposition de mon propre pays et de mon continent l’expérience acquise dans le développement de la batterie lithium-ion.

Au sein du département MSN, nous adoptons une approche de recherche multidisciplinaire de haut niveau. Nous visons non seulement l'excellence en recherche, et souhaitons l’atteindre pour être compétitifs non seulement sur la scène marocaine et africaine, mais aussi sur la scène mondiale.

Ainsi, nous savons que nous devons être agiles, inclusifs et transparents. Nous devons développer une nouvelle culture de recherche qui est capable de répondre aux besoins réels de notre pays. Cela exige un bon échange avec les industriels et la société civile, une compréhension des vrais problèmes de recherche et une proposition des solutions adéquates qui ont un impact sur la société.

La décision de rejoindre ce département a changé ma vie, surtout que j'ai dû déménager avec ma petite famille du Japon au Maroc. Je suis très motivé de faire partie de ces catalyseurs du changement au niveau de la culture de la recherche au Maroc.

Par Mehdi Heurteloup
Le 08/06/2020 à 09h35