C’est un fait. La filière des viandes rouges au Maroc fait face à une série de défis pressants. Coûts de production en hausse, diminution du cheptel, impacts de la pandémie, ainsi que la sécheresse dessinent un avenir incertain pour ce secteur clé. Contacté par Le360, Mustapha El Khouli, président de l’Association nationale des producteurs de viandes rouges, tire la sonnette d’alarme sur une situation qui pourrait compromettre l’avenir de cette activité.
Le premier signal d’alerte fut le boycott du lait en 2018, qui a gravement affecté les revenus des éleveurs, les forçant à vendre une partie de leur cheptel pour survivre, se rappelle encore Mustapha El Khouli: «Ce facteur a été un véritable coup de massue pour les agriculteurs, et plus particulièrement les petits éleveurs qui vivaient au rythme des ventes du lait. Lorsque ce produit a cessé de se vendre, c’était comme si le sol se dérobait sous leurs pieds. Les recettes ont disparu du jour au lendemain, et les dettes envers les fournisseurs d’aliments pour le bétail ont commencé à s’accumuler. Résultat: les producteurs sont entrés dans une spirale de dettes sans fin.»
Puis, la pandémie frappe, accentuant les difficultés d’approvisionnement. «La Covid-19, couplée à des périodes de sécheresse prolongées, a exacerbé les défis déjà considérables auxquels est confrontée notre écosystème. L’ensemble du processus de gestion de nos exploitations –de l’irrigation à la commercialisation, en passant par la fauche, le compactage, le transport et le stockage– a été profondément perturbé», fait savoir notre interlocuteur.
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Pour les petits éleveurs, qui ne disposent souvent pas d’autres sources de revenus, les conséquences ont été particulièrement sévères. «Ils ont dû faire face non seulement à une diminution de leurs moyens de subsistance, mais aussi à des problèmes dans le traitement, la naissance, l’insémination et la commercialisation de leurs animaux. La situation a frôlé la faillite pour beaucoup, mettant en péril l’avenir de leurs exploitations. Heureusement, après les moments les plus durs de la pandémie, nous avons observé une année de répit où la situation s’est quelque peu redressée. Cela a permis à la majorité des éleveurs de reprendre leur souffle et de stabiliser leurs activités. Toutefois, il est crucial de noter que cette reprise n’a pas été uniforme à travers tout le Maroc», explique Mustapha El Khouli.
La guerre en Ukraine, un autre coup de massue pour les éleveurs
Malheureusement, la guerre en Ukraine est venue porter le coup de grâce: «Le conflit en Ukraine, un fournisseur crucial de céréales pour le Maroc, a provoqué une hausse substantielle des coûts de ces matières premières essentielles. Cette situation a été encore exacerbée par un triplement des frais de transport maritime, résultant des perturbations causées par la pandémie de la Covid-19 et des coûts accrus liés à la réorganisation des flottes de transport.»
«En conséquence, le prix des aliments composés pour le bétail, nécessitant un taux de protéine entre 17 à 18%, a vu une augmentation dramatique, passant de 2.500 à 5.500 dirhams la tonne. Ces augmentations soudaines et sévères ont eu un impact direct sur la gestion financière des agriculteurs et ont forcé de nombreux éleveurs, y compris moi-même, à reconsidérer l’échelle de nos opérations. Personnellement, mon fonds de roulement a triplé sous la pression de ces coûts accrus», note le président de l’Association nationale des producteurs de viandes rouges.
«Et bien que nous ayons observé, par la suite, une réduction de 40% du coût des aliments pour bétail, cette baisse a été largement neutralisée par la sécheresse persistante qui a affecté nos coûts de fonctionnement. Par exemple, le prix de la paille, indispensable pour l’alimentation des ruminants, a quadruplé, passant de 15 à 60 dirhams par botte de 12 kilogrammes», poursuit-il.
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Résultat: plusieurs petites exploitations ont dû fermer boutique, et de nombreux petits éleveurs ont été contraints de vendre leur cheptel, notamment les femelles. «Les femelles sont essentielles pour engendrer les nouvelles générations d’animaux. Sans suffisamment de femelles reproductrices, le nombre total d’animaux dans une ferme peut diminuer rapidement, compromettant ainsi la capacité future de l’exploitation à maintenir ou à augmenter sa production, que ce soit en termes de viande, de lait ou d’autres produits dérivés. Vendre les femelles peut offrir un soulagement financier immédiat, mais au détriment de la viabilité à long terme de l’exploitation», déplore notre interlocuteur.
«Face à ces défis, la tutelle a réagi en multipliant les initiatives de soutien, telles que la subvention de l’orge et des aliments composés, dans le but d’alléger la pression sur les éleveurs. Ces mesures, bien que bienvenues, ne suffisent pas à elles seules à surmonter les défis structurels auxquels nous sommes confrontés», regrette Mustapha El Khouli.
C’est pourquoi ce professionnel appelle à des actions concertées pour une relance durable du secteur. «Il ne s’agit pas d’une affaire de quelques jours. Reconstituer le cheptel nécessite des moyens importants et une volonté forte de toutes les parties prenantes», conclut-il. Sans une stratégie globale et des interventions ciblées, la filière des viandes rouges pourrait ne pas se remettre de ces coups successifs.