À l’issue d’une longue procédure, entamée en mars 2018, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), organisme rattaché à la Banque mondiale, a rendu son verdict le lundi 15 juillet, condamnant le Maroc à verser une amende de 150 millions de dollars au profit du groupe suédois Corral Petroleum, détenu par le milliardaire saoudo-éthiopien Mohammed Al Amoudi, actionnaire majoritaire à 67% de la Société anonyme marocaine de l’industrie du raffinage (Samir). Définitive, la sentence du CIRDI peut toutefois faire l’objet de recours spécifiques: Corral et l’État marocain avaient un délai de 45 jours pour déposer une requête en vue d’obtenir une décision supplémentaire ou la rectification de la sentence. C’est chose faite. Les recours en rectification des deux parties ont été enregistrés le mardi 3 septembre auprès du secrétariat général du CIRDI.
Dans sa requête d’arbitrage auprès de l’instance internationale, Corral accusait le Maroc d’avoir transgressé «plusieurs protections accordées à l’entreprise en vertu du traité bilatéral d’investissement conclu en 1990 entre la Suède et le Maroc», réclamant jusqu’à 2,7 milliards de dollars à titre de dédommagement.
En gros, Al Amoudi reproche au gouvernement d’avoir sciemment entravé l’activité de la raffinerie en vue de l’exproprier et d’accélérer la liquidation puis la nationalisation de la raffinerie. Parmi les griefs énoncés, et supposés montrer que le Maroc n’a pas respecté sa part du contrat, on retient ceux prétendant «le gel arbitraire et illégal des comptes bancaires de la Samir», «l’interdiction pour les navires pétroliers de s’amarrer au port de Mohammedia», ou encore «la non-application des mesures nécessaires pour garantir la compétitivité de la Samir».
Dans les coulisses du CIRDI, une source proche du dossier nous confie que le pire a été évité grâce à la ténacité de l’avocat Hicham Naciri, mandaté par le Maroc dans cette affaire, et surtout à l’implication efficace du ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, qui a pris le dossier en main. Pour autant, le fond du problème demeure intact et cette amende ne devrait pas constituer l’arbre qui cache la forêt et encore moins être brandie comme une semi-victoire.
Car au-delà du montant de 1,5 milliard de dirhams que le Trésor public devra débourser, il y a plusieurs dizaines de milliards de dirhams perdus par le Maroc dans ce litige. En effet, Samir est redevable de pas moins de 96 milliards de dirhams à des créanciers marocains, dont près de 80% sont dus à l’État, principalement à la Douane et à l’Office des changes, le reste étant réparti entre banques et fournisseurs. Et ces presque cent milliards de dirhams sont tout simplement impossibles à récupérer. Deux questions s’imposent dès lors: comment en est-on arrivé là? Et surtout, qui est responsable de cette débâcle?
Akhannouch vs Al Amoudi
Dans le différend opposant le Maroc à Corral autour de la Samir, un nom revient souvent dans les plaidoiries, tout au long du procès: Aziz Akhannouch. Toujours selon la même source, «L’argument clef des avocats d’Al Amoudi était d’affirmer qu’Akhannouch a pesé de tout son poids pour que la raffinerie cesse ses activités, et qu’il a tiré de substantiels dividendes de cette fermeture. Cet aspect-là est l’un des points forts de la plaidoirie de la défense de Corral et a constitué l’angle d’attaque majeur de l’argumentaire déployé par ses avocats contre le Maroc». Une autre source dans un ministère impliqué dans ce dossier résume en ces termes la plaidoirie: «l’argument d’Al Amoudi, c’est le distributeur!», en référence à Aziz Akhannouch, actionnaire de référence d’Afriquia.
Ces propos rejoignent ceux tenus devant le CIRDI par l’ancien directeur général de la raffinerie, Jamal Ba-Amer, relayés par le magazine Jeune Afrique. «Le groupe (NDLR : Corral) avait reçu des pressions de la part des autorités marocaines et de Aziz Akhannouch, propriétaire du groupe Akwa et actuel Chef du gouvernement. Il en voulait pour preuve l’échec, au début des années 2000, de son deal avec le groupe Oismine -anciennement Somepi, cédé en 2005 à Akwa-, une société de distribution d’hydrocarbures détenue alors par l’homme d’affaires Mustapha Amhal», rapporte le média panafricain dans un article publié le 2 août dernier. Jamal Ba Amer fait référence au partenariat scellé, en décembre 2001, entre la Samir et Oismine Group, à travers lequel la filiale de Corral espérait pouvoir mettre un pied dans le secteur de la distribution. «Un partenariat concrétisé avec la création de la société Somirgy, détenue alors à 40% par la raffinerie et à 60% par Oismine. En échange, Mustapha Amhal est entré dans le capital de la Samir à hauteur de 5%», rappelle Jeune Afrique.
Seulement, quelques mois après la conclusion de cet accord, le patron d’Oismine a décidé de céder ses participations au sein de la raffinerie. «Cette sortie a été interprétée par Corral comme étant le résultat de pressions exercées par le Groupement des pétroliers du Maroc (GPM), en particulier par Aziz Akhannouch, et comme une tentative de pousser la Samir à quitter le secteur de la distribution des produits pétroliers», souligne l’article.
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Au reste, ce n’est pas la première fois que le nom du Chef du gouvernement est nommément cité dans une affaire soumise à l’arbitrage du CIRDI, et dans laquelle le contribuable marocain est sommé d’éponger l’ardoise relative à la gestion hasardeuse du dossier de la Samir. Ce fut aussi le cas dans l’affaire Carlyle.
Le 22 août 2018, le fonds d’investissement américain Carlyle avait saisi le CIRDI d’une requête d’arbitrage dirigée contre le Royaume. Il reproche au Maroc d’avoir saisi et cédé un stock de produits pétroliers lui appartenant, qui était entreposé dans les bacs de la Samir avant sa mise en liquidation, actée par un jugement prononcé en mars 2016. À titre de dédommagement, Carlyle réclamait à l’État marocain 404 millions de dollars (plus de 3,9 milliards de dirhams), montant qui correspond à la valeur du pétrole perdu.
«Akhanouch avait manifesté son intérêt pour la reprise la Samir»
«L’un des ministres du gouvernement impliqués dans les négociations pour l’approbation du plan d’investissement de la Samir, Aziz Akhanouch, avait un intérêt personnel et un motif commercial dans la décision de fermer la raffinerie de la Samir», peut-on lire dans une plaidoirie d’Éric Ordway, avocat de Claryle, datée du 31 juillet 2019.
Et d’ajouter, citant un article de presse publié en octobre 2015, «Akhannouch possédait une grande société marocaine de distribution de carburant et pourrait être tenté de prendre le contrôle de la Samir si celle-ci venait à être liquidée».
Dans ce même document, on apprend que «George Salem, membre du conseil d’administration de la Samir, et Abderrahim El Azzouzy, directeur de la société d’inspection Intertek Maroc, ont déclaré à Carlyle qu’ils pensaient que M. Akhanouch avait manifesté son intérêt pour la reprise de la Samir».
Devant le CIRDI, les avocats de Carlyle ont mis également en avant l’initiative de l’actionnaire majoritaire de la Samir, Mohammed Al Amoudi, qui aurait tenté d’injecter plusieurs centaines de millions de dollars afin de permettre à la raffinerie de continuer à fonctionner et permettre à Carlyle de récupérer tout ou partie de ses investissements. «Le Maroc n’a jamais accepté cette proposition» et «a pris des mesures qui ont empêché toute recapitalisation ou restructuration de la Samir», soulignent les avocats américains Éric Ordway et Lori Pines dans une autre plaidoirie, datée du 31 juillet 2018.
Là encore, la défense de Carlyle n’hésite pas à faire le lien avec les visées du patron du groupe Akwa. «La presse marocaine spécule en rapportant que si la Samir devait être liquidée, la raffinerie finirait entre les mains d’Afriquia, la société du ministre de l’Agriculture Akhannouch», poursuit la même source, citant au passage l’ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, qui aurait déclaré à la Chambre des conseillers en janvier 2016 que «les autorités avaient pris la décision unanime de mettre fin au contrôle étranger de la Samir». Pour Carlyle, ces faits montrent que «la saisie des biens de la Samir n’était pas accidentelle, mais reflétait plutôt la préférence du Maroc que le contrôle de la raffinerie soit transféré à un investisseur marocain».
Si le gouvernement marocain a passé sous silence l’arrangement amiable, certainement coûteux, qui a abouti à la suspension puis à la clôture en septembre 2022 de la procédure d’arbitrage lancée par Carlyle, il était difficile de faire de même dans le cadre du contentieux avec Al Amoudi, compte tenu de la somme colossale qu’il réclamait (2,7 milliards dollars) et des dizaines de milliards de dirhams que Samir doit à ses créanciers marocains. S’accorder à l’amiable avec Al Amoudi équivaut à accepter l’irrécouvrabilité des milliards dus par Samir aux douanes et aux impôts. Et de toute façon, la condamnation de l’État marocain par le CIRDI à 150 millions de dollars rend de facto irrécupérables les dizaines de milliards de dirhams dues aux parties marocaines.
La sentence rendue par le CIRDI interpelle à tous les niveaux et incite à revisiter de fond en comble le dossier de la Samir, afin de mesurer le degré d’implication de tous les responsables qui ont eu à le gérer, depuis la privatisation en 1996 jusqu’au jugement prononcé en juillet par le tribunal arbitral.
Plus de 28 ans après sa concrétisation dans des circonstances pour le moins opaques, la cession de la Samir au groupe Corral continue de susciter de nombreuses questions restées sans réponses. Les déclarations faites par les membres du gouvernement de l’époque, dirigé par feu Abdellatif Filali, et en particulier par le ministre de la Privatisation, feu Abderrahmane Saaïdi (devenu étrangement Directeur général de la raffinerie, de 2001 à 2004), ne tarissaient pas d’éloges sur le milliardaire saoudien, présenté alors comme le messie du raffinage, alors que son groupe était encore naissant et sans réelle expérience dans le secteur des hydrocarbures.
La Samir a ainsi été «offerte» à Al Amoudi sur un plateau d’argent, contre la modique somme de 4 milliards de dirhams (380 millions d’euros), dans le cadre d’une transaction de gré à gré, sans passer par une procédure d’appel d’offres, et sans avoir cherché à obtenir l’accord, pourtant obligatoire, de la commission des transferts, conformément à la loi nº 39-89 autorisant le transfert d’entreprises publiques au secteur privé.
Deuxième anomalie de taille, l’État a donné à Al Amoudi l’avantage de l’exclusivité dans le secteur du raffinage pétrolier au Maroc, couplé à une protection douanière pour une durée de 5 ans. En échange, le magnat saoudo-éthiopien s’était engagé à investir jusqu’à 4,6 milliards de dirhams pour mettre à niveau l’outil de production et surtout l’aligner sur les normes environnementales internationales. «Il n’a pas investi un seul dirham. Il a pompé, tiré ce qu’il pouvait tirer, sans investir un dirham dans le développement de la raffinerie. Celle-ci a continué à empoisonner les Marocains avec un diesel à très forte teneur en soufre, environ 10.000 ppm (partie par million), alors qu’il devait contenir seulement 50 ppm», témoigne cet analyste financier, spécialiste du secteur de l’énergie, qui a suivi de près l’évolution chaotique du titre Samir à la Bourse de Casablanca.
Quand l’échéance de l’exclusivité est arrivée à terme, au bout de cinq ans, le gouvernement Jettou, alors aux manettes, était censé mettre Al Amoudi devant ses responsabilités, lui rappeler ses innombrables manquements au cahier des charges, et procéder à l’ouverture du marché marocain. Il n’en fut rien. En lieu et place, l’exécutif a paradoxalement allongé la durée de l’exclusivité et de l’amnistie environnementale, sans rien obtenir en contrepartie. Arguant de son intention d’investir cette fois-ci 6 milliards de dirhams, Al Amoudi a continué à bénéficier de cette protection qui contraint tous les pétroliers locaux à s’approvisionner auprès de la Samir, faisant du Maroc son marché captif.
Pourquoi Driss Jettou a-t-il agi de la sorte? Pour quelle contrepartie non avouée? D’aucuns pensent que le gouvernement voulait à tout prix écarter le spectre de la pénurie et garantir la sécurité énergétique du pays, en assurant la continuité de l’activité de la Samir. «Les capacités de stockage des distributeurs étaient encore limitées, ne permettant pas de sécuriser un approvisionnement normal du marché», explique cet expert en énergie, rappelant l’épisode du gigantesque incendie qui a ravagé une bonne partie des installations de la Samir, le 25 novembre 2002. Un épisode charnière, puisque c’est suite à cet incident que l’État a suspendu les droits de douane sur les hydrocarbures, permettant aux pétroliers de s’approvisionner librement à l’étranger pour subvenir, partiellement dans un premier temps, aux besoins du marché.
Dans la bouche des différentes personnes interrogées par Le360 dans cette affaire, c’est le terme «sans scrupules» qui revenait le plus souvent pour décrire Al Amoudi. Au lieu de rectifier le tir et honorer son engagement, écrit noir sur blanc dans la convention d’investissement signée avec le Premier ministre Jettou, l’homme d’affaires saoudien a préféré temporiser, repoussant à répétition les délais pour apporter sa quote-part contractuelle dans le financement du fameux hydrocracker, se montant à 1,2 milliard de dirhams. Résultat, la livraison du projet a connu un retard conséquent, qui a fait passer son coût du simple au double, allant au-delà des 12 milliards de dirhams, et où la part de la Samir a finalement été puisée dans le budget d’exploitation de la raffinerie. Pour faire exploser l’endettement de la Samir, il n’y avait probablement pas de meilleur moyen.
Droit dans le mur
Mais ce n’était là que la partie émergée de l’iceberg. Échappant à tout contrôle, la situation financière du raffineur s’est progressivement dégradée, au point de cumuler, sous le gouvernement Benkirane I, près de 9,5 milliards de dirhams de crédits d’enlèvement (recettes non restituées au titre de la Taxe intérieur de consommation-TIC) auprès de l’Administration des douanes et impôts indirects (ADII). «Ce montant faramineux représente près de 20% des recettes de l’État au titre de la TVA à l’importation, des TIC sur les produits énergétiques et des droits de douane. Une telle concentration du risque sur un seul contribuable constitue une faute lourde de l’administration fiscale, qui doit se justifier sur les raisons qui l’ont conduit à autoriser ce niveau de risque et indiquer l’identité des décideurs qui ont délivré cette autorisation, que ce soit au niveau de l’ADII qu’au niveau du ministère de l’Économie et des Finances (alors dirigé par Nizar Baraka, actuel ministre de l’Équipement et de l’Eau, NDLR)», souligne un rapport du Front national pour la sauvegarde de la Samir.
L’association pointe au passage la responsabilité des commissaires aux comptes, en l’occurrence les cabinets KPMG & Price Waterhouse Coopers, restés muets face aux nombreuses «manipulations comptables» du top management de la raffinerie. Un comble pour une entreprise cotée en Bourse… «La société n’a pas alerté le marché sur les résultats 2013, tandis que le profit warning relatif à l’exercice 2014, annonçant une perte de 3,4 milliards de dirhams, n’a été émis que très tardivement, courant décembre 2014, à quelques jours seulement de la clôture de l’exercice comptable», poursuit la même source. «Ces agissements ont fait l’objet d’un rappel à l’ordre de pure forme de la part du CDVM (le gendarme du marché des capitaux, rebaptisé AMMC, NDLR), dont on peut légitimement s’interroger sur la volonté réelle de sanctionner les contrevenants», s’étonne l’association.
Dans l’incapacité d’honorer ses dettes (le tribunal de commerce a recensé près de 400 créanciers), Mohammed Al Amoudi a tenté de gagner du temps en multipliant les promesses, notamment face à ses interlocuteurs au sein du gouvernement Benkirane II, Mohamed Hassad (Intérieur), Mohamed Boussaïd (Finances) et Abdelkader Amara (Énergie). À deux reprises, le trio l’avait convoqué pour le tancer, l’exhorter à redresser la barre et honorer les dettes de la raffinerie. En pure perte, dans tous les sens du mot.
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Le 5 août 2015 marque un tournant dans l’évolution de l’affaire la Samir. À la demande de la Douane, la justice ordonne la saisie conservatoire des avoirs bancaires de la raffinerie. À titre de «représailles», Al Amoudi prend de court le marché et annonce l’arrêt pur et simple de la production, obligeant le Maroc à importer la totalité de ses besoins en carburants, estimés à 300.000 barils par jour.
Pour autant, la situation a bien arrangé les affaires des pétroliers locaux, désormais autorisés à s’approvisionner à 100% à l’étranger, auprès du fournisseur de leur choix, et à des prix souvent avantageux, alors qu’ils avaient jusque-là l’obligation de s’approvisionner chez la Samir.
Déséquilibres financiers irréversibles
Le 21 mars 2016, le couperet tombe. La justice se prononce en faveur de la liquidation de la Samir, motivant sa décision par l’existence de déséquilibres financiers irréversibles et par l’incapacité de l’entreprise à honorer ses règlements à cause de dettes excédant très largement ses actifs.
«Dans une tentative désespérée de dernière minute, le cheikh Al Amoudi a adressé une lettre au tribunal, par l’intermédiaire de ses avocats, dans laquelle il s’engage à verser 680 millions de dollars dans les comptes de la raffinerie, si la liquidation prononcée en première instance était infirmée. Cette énième promesse de recapitalisation de la société n’était accompagnée d’aucun acte de garantie bancaire ni d’aucun document attestant de la disponibilité des fonds et de leur réservation pour le compte de la Samir. L’annonce de la liquidation devient effective par décision de la Cour d’appel de commerce de Casablanca prononcée en juin 2016», détaille le rapport du Front national pour la sauvegarde de la Samir.
À l’initiative des banques créancières (Société Générale, Banque Centrale Populaire, BMCI et BNP Paribas), la procédure de liquidation a été ensuite étendue aux dirigeants de la raffinerie, dont l’ensemble des administrateurs. Il s’agit de Mohammed Al Amoudi, Jamal Ba-Amer, Bassam Abourdina, Jason T. Milazzo, Lars Nelson, John Ozold, Bassam Aburdene, George Salem, Ghazi Mohamed Habib, Mohamed Hassan Bensalah et Mustapha Amhal. La liste comprend aussi les représentants juridiques du groupe Corral, la société hôtelière Samir, la société TSPP, la SDCC et la société Salam Gaz.
À qui profite le crime?
Au lendemain du verdict du tribunal arbitral du CIRDI, présidé par l’Italo-Britannique Luca G. Radicati Di Brozolo, des voix se sont élevées pour réclamer la responsabilité des ministres impliqués dans cette affaire tumultueuse, et à leur tête le Chef du gouvernement et ancien président du puissant Groupement des pétroliers du Maroc (GPM), Aziz Akhannouch.
Ce dernier est soupçonné d’avoir pesé de tout son poids pour que le dossier la Samir ne trouve pas de règlement à l’amiable et que le statu quo dure jusqu’au pourrissement. «Dès le déclenchement de la crise de la Samir, Akhannouch est tombé comme un vautour sur sa proie et a tout fait pour que ça ne se règle pas», insiste-t-on à répéter dans le clan Al Amoudi. À ses yeux, la motivation était évidente: la mise à l’arrêt de la Samir permettait aux pétroliers de se fournir à l’étranger, de s’approvisionner en devises et, par conséquent, maximiser leurs marges et les bénéfices qui en découlent.
Pire, le gouvernement a poussé à la mise en liquidation de la Samir, une décision jugée irresponsable par bon nombre de juristes avertis, lui attribuant même un «caractère immature». Car ce faisant, l’État marocain attestait juridiquement ne plus donner de crédit à la possibilité d’une remise en activité de la raffinerie. Acte dont la partie adverse n’a pas manqué de tirer avantage devant l’instance arbitrale. «Dans la plaidoirie des avocats d’Al Amoudi, il est répété qu’Akhannouch a tout fait pour que la Samir soit mise en liquidation, de façon à ne plus jamais avoir à se fournir auprès d’elle», confirme cette source proche du dossier.
En d’autres termes, d’un point de vue juridique, l’État marocain est devenu fautif en décidant la liquidation de la Samir. Certes, Al Amoudi s’était comporté en personnage sans scrupules, multipliant les promesses non tenues et les engagements contractuels non respectés, mais il a eu l’intelligence de s’entourer de bons avocats. À l’opposé, du côté de la partie marocaine, qui a joué la carte du pourrissement, personne ne semblait se préoccuper des répercussions juridiques d’une telle décision. Mohamed Hassad, qui gérait alors ce dossier en tant que ministre de l’Intérieur, avait considéré que l’État marocain, confronté aux agissements dilatoires d’un entrepreneur carnassier, était dans son bon droit. Cela le dispensait-il pour autant de solliciter un conseil juridique pointu à la hauteur de la situation? Car il a fallu attendre l’année 2019, alors que le ver était déjà dans le fruit, pour que le gouvernement marocain se décide enfin à mandater Me Hicham Naciri pour défendre ses intérêts dans l’affaire de la Samir. Une telle insouciance est d’autant plus incompréhensible que le CIRDI est connu pour être un arbitre des plus difficile pour les États.
Une ardoise de 125 milliards de dirhams
Dans un entretien avec Le360, Driss Benhima, ministre de l’Énergie au sein du gouvernement Filali III (1997-1998), avait clairement indiqué que «l’acceptation du recours au CIRDI est une erreur récurrente des pouvoirs publics marocains dans la négociation de leurs contrats internationaux», ajoutant que cet organisme proche de la Banque mondiale «a la réputation d’être plutôt favorable aux intérêts privés par rapport aux États dans les arbitrages qu’il rend».
Maintenant, ce qui est fait est fait et, comme le veut l’adage marocain, «pleurer le mort est simple perte». L’État marocain devra prendre acte de la disparition de 55 milliards de dirhams d’amendes non payées pour des infractions au droit douanier (37 milliards de dirhams) et à la réglementation de change (18,7 milliards de dirhams). Il en sera de même pour des créances de 16,7 milliards de dirhams (taxes impayées) et de 9,5 milliards de dirhams (crédit d’enlèvement) dues à la douane. Ajoutons à cela l’amende infligée par le CIRDI (environ 1,5 milliard de dirhams), le montant de la dette bancaire et obligataire de la raffinerie (environ 20 milliards de dirhams), la dégradation de son outil de production (actif évalué à 22 milliards de dirhams), et nous voici dépassant une ardoise de 125 milliards de dirhams, soit environ 9% du PIB du pays! Qui doit être tenu pour responsable de cette obscène gabegie?
Pendant ce temps-là, les pétroliers se sont bien engraissés, et à leur tête le numéro 1 du marché. Les affaires de Aziz Akhannouch ont en effet bien prospéré et sa fortune personnelle s’est considérablement accrue, au point de lui offrir une entrée remarquée dans la liste Forbes des milliardaires en dollars du continent africain. Un autre dicton, français celui-là, dit que «le malheur des uns fait le bonheur des autres». Le contribuable marocain saura sans doute dans quel camp il se trouve…