Vidéo. Interview: l’artiste plasticienne Majida Khattari dévoile sa collection Covid-19

Portrait de l'artiste marocaine Majida Khattari.

Portrait de l'artiste marocaine Majida Khattari. . DR

Le 26/05/2020 à 15h08

VidéoDans cette interview, l’artiste marocaine Majida Khattari nous parle de son expérience de confinement à Paris et de sa création. Elle nous dévoile en exclusivité une collection Covid-19: une ligne de vêtements qui s'inspire de l’impact de la pandémie sur les rapports sociaux.

Comment avez-vous vécu le confinement?

Les artistes sont souvent confinés dans leurs ateliers, la différence cette fois-ci, c’est qu’il y a eu un décret, un ordre de rester chez soi, et comme vous le savez, les artistes n’aiment pas trop les ordres.

Au début, j’avais du mal, je n’arrivais pas à travailler, je n’arrivais pas à me concentrer, mais au bout d’une semaine, j’ai repris les crayons et depuis je n’ai pas arrêté.

Les crayons pour quoi faire?

Quand j’ai commencé à travailler pendant le confinement, j’ai décidé de réaliser une copie d’un tableau de maître par jour.

J’ai choisi des tableaux de Fragonard, François Boucher, Bouguereau, Courbet et bien sûr mon favori Eugène Delacroix. Chaque jour, j’ai dessiné un tableau au fusain et aux pastels secs, rien que des représentations de Vénus et d’odalisques, je voulais échapper à l’angoisse du confinement en regardant la peinture.

En même temps, j’ai travaillé sur le sujet proposé par ma galerie casablancaise l’Atelier 21 pour la prochaine exposition annuelle.

Etes-vous plus inspirée maintenant que vous êtes libre?

Plus que jamais… Surtout après avoir vu les images de l’euphorie du déconfinement. La joie des retrouvailles a fait oublier la nécessité de distanciation.

J’imagine qu’au Maroc, on verra la même chose et là je me suis dit que l’art devait intervenir, qu'il fallait créer un nouveau look qui nous éloignerait les uns des autres, j’ai imaginé une collection Covid-19, j’ai même pensé à contacter un grand groupe de mode pour lancer le concept.

Pourquoi un groupe de mode?

D’abord parce que j’ai besoin de soutien pour un tel projet et par la suite j’aimerais que mon concept soit repris par les spécialistes de la mode qui, à mon avis, seront aussi inspirés que moi pour nous créer une collection Covid-19.

Pour l’instant, j’interviens en tant qu’artiste qui a beaucoup travaillé sur la question du regard porté sur le corps et le vêtement pendant les débats sur le foulard islamique en France.

Au moment de cette crise sociale et politique en 1996, j’avais créé la forme défilé-performance. Je pense donc rester fidèle à ma tradition et création et j’aimerais organiser un défilé-performance lors des défilés haute couture à Paris en juillet s’ils sont maintenus, ensuite un défilé-performance au Maroc. J’espère trouver un mécène pour organiser ma performance à Paris et au Maroc.

Dites-nous en plus sur cette collection Covid-19. 

J’ai dessiné une collection d’accessoires-sculptures qui sont une exagération de certains objets et accessoires déjà existants. J’ai pensé aux répliques monumentales des objets du quotidien de l’artiste américain Claes Oldenburg qui était aussi un artiste de la performance.

Quelles ont été vos inspirations pour cette collection?

Je suis une Marocaine qui habite Paris, alors vous imaginez ma richesse entre la mode parisienne et la riche culture des costumes et accessoires du Maroc. Je me suis donc inspiré du style de mes deux pays et bien sûr de Claes Oldenburg.

J’ai imaginé une collection d’accessoires que les femmes et les hommes peuvent adapter à leurs vêtements pendant cette période de Covid-19.

Des accessoires pour la journée et pour le soir: en premier, un chapeau masque inspiré des traditionnels chapeaux parisiens, un masque inspiré des djellabas et des lithams (niqab) traditionnels marocains, une ceinture nœud papillon longue de 1 mètre ou encore d’énormes pochettes et sacs pour accessoires et masques. La liste est longue … il va falloir adapter notre look à la situation.

Tous ensemble, nous devons travailler contre le virus et je pense à Joseph Beuys et à son concept de sculpture sociale. On doit se voir comme une seule œuvre d’art, chacun peut contribuer de manière créative et avec les moyens qu’il a: «Chaque personne [est] un artiste», disait Joseph Beuys.

On doit résister, créer, rêver et lutter…

Pensez-vous commercialiser cette collection Covid-19?

J’ai beaucoup travaillé et je travaille toujours sur la relation art et mode. J’utilise la forme du défilé pour mes performances, les tissus et les vêtements pour mes mises en scène photographiques, je crée des «vêtements-sculptures» pour mes défilés-performances.

Mes créations restent dans le domaine du marché de l’art et non de la mode.

Je suis sûre que les stylistes vont créer en fonction de ce nouveau monde qui nous attend et on aura beaucoup de propositions dans les magasins.

Qu'avez-vous retenu de ce confinement? Qu’est-ce qui vous a le plus marquée?

J’ai retenu l’impact des réseaux sociaux et leurs capacités à mobiliser les gens et à créer une solidarité. J’ai été impressionnée par Lady Gaga et son efficacité, son concert organisé en peu de temps et son exigence. Cette artiste m’impressionne toujours, j’aimerais bien l’habiller un jour.

Ce qui m’a marqué: l’insouciance et l’inefficacité d’Instagram, «le miroir de notre époque» comme dirait Baudelaire. Déprimant, toujours décevant malgré la situation, les gens restent centrés sur eux-mêmes et sur leurs intérêts.

Avez-vous d'autres projets à venir?

Je viens de finir deux oeuvres pour l’exposition annuelle de ma galerie casablancaise, l’Atelier 21, qui aura lieu en juin.

Ce sont deux créations que j’ai réalisées pendant le confinement et qui expriment le manque et la frustration provoqués par ce virus dans le cœur de chacun à travers le monde, je ne vous en dis pas plus, je vous laisse le plaisir de découvrir mes œuvres lors de l’exposition.

Par Mehdi Heurteloup
Le 26/05/2020 à 15h08