"C'est avec une profonde tristesse que j'écris au nom de la famille Masur et du Philharmonique de New York que Kurt Masur, qui fut notre directeur musical de 1991 à 2002 et restait directeur musical émérite, est décédé le 19 décembre 2015", a annoncé samedi Matthew VanBesien, le président de l'orchestre philharmonique qui doit à Masur d'avoir retrouvé le firmament des formations classiques, après des années d'errance.
Kurt Masur, qui avait annoncé en 2012 qu'il était atteint de la maladie de Parkinson, s'est éteint à Greenwich dans le Connecticut, au nord-est des Etats-Unis, selon le New York Times.Il est né en Silésie le 18 juillet 1927. La région était alors allemande, mais elle a été rattachée à la Pologne après la Deuxième guerre mondiale.
Masur se passionne jeune pour la musique, apprend le piano, l'orgue, le violoncelle et même les percussions. Mais une blessure à un tendon de la main droite le force à choisir la direction d'orchestre. Après avoir été enrôlé de force dans la Wehrmacht et stationné aux Pays-Bas, il étudie la direction d'orchestre et la composition au conservatoire de Leipzig.
Dès 1955, il est nommé directeur en titre du Philharmonique de Dresde, en République démocratique allemande (RDA) et devient rapidement l'un des chefs les plus en vue de l'Allemagne communiste.Directeur de l'orchestre Gewandhaus de Leipzig de 1970 à 1996, Masur a très tôt parcouru le monde, donnant près de 1.000 concerts des deux côtés du Rideau de fer, y compris aux Etats-Unis, dès les années 1970, et multipliant les enregistrements des plus grandes symphonies.Le Gewandhaus "pleure" son Kapellmeister peut-on lire sur la page d'accueil du site de la célèbre maison, barrée d'une photo du chef.
De la RDA à New YorkLongtemps après la Réunification, il expliquera "avoir vécu dans un Etat où on te disait sans cesse ce qui était bon pour toi, ce qui était mauvais pour toi, et où on voulait par dessus tout présenter l'Ouest comme une réalité effrayante". Mais celui qui ne rechignait pas à serrer la main du numéro 1 est-allemand Erich Honecker, chaque fois que ce dernier se rendait à ses concerts, concèdera n'avoir pris conscience que tardivement de cette oppression intellectuelle.
Pourtant à l'automne 1989 son destin bascule. Kurt Masur transforme le siège de son orchestre en foyer de la contestation, et aide activement à éviter que la grande manifestation du 9 octobre 1989 à Leipzig ne se transforme en bain de sang."Beaucoup de gens n'oublieront jamais comment il s'est engagé à l'automne 1989 pour un changement structurel en RDA, pour la liberté des gens et la démocratie", a souligné le président allemand Joachim Gauck, lui-même pasteur engagé dans l'opposition.
"Par sa haute stature, intellectuelle, musicale et physique, Kurt Mazur avait réussi à donner un coup fatal à un régime honni", se souvient l'ancien ministre de la culture français, Jack Lang.En 2010, après avoir décrit la chute du mur comme "le paradis sur terre", le musicien confiait aussi à l'hebdomadaire Der Spiegel que "l'état d'esprit qui régnait alors est plus ou moins tari, et les choses ne se sont pas bien passées pour tout le monde".
Après la chute du mur, le célèbre chef d'orchestre à la stature désormais internationale s'installe à New York où il prend la direction du Philharmonique de 1991 à 2002, puis à Paris où il dirige l'Orchestre national de France à partir de septembre 2002.Ce dernier a rendu hommage à son directeur musical honoraire, qui était parvenu "à tisser une relation privilégiée avec les musiciens, stimulant ce désir d'apprendre à jouer ensemble qui distingue les orchestres les uns des autres".
C'est peut-être le 20 septembre 2001 que Kurt Masur a donné le concert de sa vie, à New York. Dans une ville où les ruines des attentats du 11 septembre fument encore, lui et "son" philharmonique donnent le douloureux "Requiem allemand" de Brahms."La conviction absolue de Masur que la musique peut lancer de puissants messages et participer de la guérison a parfois prêté à sourire. Plus maintenant", avait alors écrit le critique musical du Times.
Les années passant, cet "Allemand atypique" (comme il se définissait lui-même) ne rechignait pas à évoquer la question de sa propre mort."Plus on vieillit, plus on se demande "comment mourras-tu?'", expliquait-il au quotidien Berliner Zeitung en 2003. "Faire de la musique, c'est faire en sorte que les gens sentent la proximité de la mort, qu'ils se rendent compte que tout ce qui est beau dans la vie aura un jour une fin".
Brahms, Symphonie n°2 avec le Gewandhausorchester, l'orchestre philarmonique de Leipzig (Allemagne), en septembre 2011.