Le 17 janvier 2020 est un jour à marquer d’une pierre blanche. Ce jour-là, le roi Mohammed VI a fait preuve de sa ferme volonté de consacrer la vocation d’Essaouira en tant que ville d’histoire, d’art et de patrimoine.
Et à ambition grandiose, projet magnifique. Car la volonté royale s’est illustrée à travers le lancement par le souverain de la réalisation d’une Cité des arts et de la culture au cœur de la Cité des Alizés, dessiné par l’architecte Oscar Niemeyer.
Un projet de taille, qui changera à tout jamais le visage d'Essaouira, d’autant que son esquisse a été réalisée par l’un des plus grands maîtres de l’architecture au monde, le Brésilien Oscar Niemeyer. Et fait incroyable qui mérite d’être souligné, ce projet est l’ultime œuvre de cet architecte.
En 2013, dans un numéro spécial consacré à l'œuvre d'Oscar Niemeyer, la revue internationale de référence sur l’architecture, Architecture d’Aujourd’hui-AA, a reproduit sur deux pages les dessins du site d’Essaouira, réalisés par le maître brésilien.
Dans ces dessins, laissés par Niemeyer, le bâtiment central a la forme d’une mouette aux ailes déployées, oiseau marin symbole d’Essaouira. Dans un bâtiment sphérique, on reconnaît les lignes circulaires et sensuelles qui ont fait la réputation de Niemeyer dans le monde de l’architecture, et qui constituent, en quelque sorte, sa signature.
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Dans la presse nationale, qui amanifesté son intérêt à la Cité des Arts d’Essaouira, nulle mention, pourtant, de cette figure majeure de l’architecture moderne.
Souhaitant en apprendre davantage sur l’implication d’Oscar Niemeyer et sur la genèse de ce projet, Le360 a réuni les trois hommes qui ont œuvré en coulisses pour donner corps à ce site, et concrétiser ainsi l’ambition voulue et portée par le souverain: André Azoulay, conseiller du roi Mohammed VI, et les architectes marocains Rachid Andaloussi et Fikri Benabdellah.
Pourquoi Oscar Niemeyer?En soixante-dix ans de carrière, Niemeyer a réalisé plus de 600 bâtiments à travers le monde.
C’est à ce génie des courbes, très influencé par Le Corbusier, que l’on doit notamment la ville de Brasilia, l’actuelle capitale du Brésil, dont il concevra la majeure partie des grands édifices.
C’est aussi à lui que l’on doit le siège des Nations Unies à New York qu’il conçoit en 1952, la cathédrale de Brasilia, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, le musée d’art contemporain de Niteroi près de Rio de Janeiro, célèbre pour sa forme de soucoupe volante…
En France, où il a été exilé dans les années soixante, il a également signé une vingtaine de bâtiments, dont le Volcan, la maison de la culture du Havre, mais aussi le siège du parti communiste français, ou encore l’ancien siège du journal L’Humanité…
Pour André Azoulay, Oscar Niemeyer est une évidence. «J’ai ce goût du profane, pas de l’expert, de la grande architecture... Particulièrement celle d’Oscar Niemeyer. J’aime sa sensualité, cette façon qu’il a d’approcher ce grand art qui est celui de la grande architecture».
Et de poursuivre: «Oscar Niemeyer a fait partie de la cour des grands sur beaucoup de plans. Je le considère comme l’un des grands maîtres de l’architecture du XXe siècle. Mais il avait aussi cette personnalité qui faisait que son charisme, son propos architectural, philosophique, intellectuel et culturel a toujours été du bon côté. Celui de l’écoute, celui de l’altérité, celui du monde, celui des valeurs qui sont celles que nous recherchons, à savoir le respect, une certaine justice et une dignité que son travail met à la portée de tous. Il pouvait réaliser une université ou le siège d’un parti politique, cela allait au delà du geste architectural, ou alors le geste disait aussi une pensée».
Compte tenu de la réputation de l’architecte, il est possible que le nom d’Essaouira soit aussi associé à celui de Niemeyer. Particulièrement si l’on considère que la Cité des arts fait figure de testament esthétique de ce grand architecte. Cette œuvre synthétise en effet à la fois son savoir, son apprentissage et une pratique forte de plusieurs décennies.
La cité du patrimoine, des arts et de la culture d’Essaouira, un rêve devenu réalitéUn investissement estimé à 350 millions de dirhams, une surface de 3,6 hectares à l’entrée de la ville, un grand théâtre de 1000 places, une maison de la musique dotée d’un conservatoire, une maison du livre, un musée des Arts contemporains, un musée consacré à l’histoire du thé, une esplanade qui pourra accueillir jusqu’à 30.000 personnes… C’est ainsi que se profile la future cité des Arts d’Essaouira, révélant les hautes ambitions de la ville qui l’accueille.
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Dans l’esquisse de cet incroyable temple de la culture, Rachid Andaloussi, architecte associé à ce projet, voit une synthèse du travail d’Oscar Niemeyer. En effet, dans ce dernier projet, réalisé quelques mois seulement avant sa mort, en décembre 2012, à l’âge de 104 ans, Niemeyer a rassemblé, en un trait de crayon inspiré, les formes sensuelles, voluptueuses et résolument modernes qui lui sont chères.
«Quand je dessine, seul le béton me permettra de maîtriser une courbe d’une portée aussi ample. Le béton suggère des formes souples, des contrastes de formes, par une modulation continue de l’espace qui s’oppose à l’uniformisation des systèmes répétitifs du fonctionnalisme international», écrivait Oscar Niemeyer dans Les courbes du temps, ses mémoires, publiées en 1997.
Ce projet, c’est donc tout un symbole. «Une offrande» pour le Maroc, comme aime à le qualifier Fikri Benabdellah, architecte marocain en charge de la réalisation de la cité des arts aux côtés de Rachid Andaloussi, lesquels se rendirent tous deux, par la suite, à Rio de Janeiro, dans les bureaux de Niemeyer.
L’histoire marocaine d’Oscar NiemeyerEn découvrant les dessins d’Oscar Niemeyer, on l’imagine déambulant dans les ruelles de la médina de cette ville légendaire, géométrique et dont on doit l’architecture, comme aime à le rappeler André Azoulay, au sultan Mohamed Benabdellah.
«C’est à lui que l’on doit la prolongation de cette muraille qui s’étire en dentelle avant de plonger dans la mer», rappelle-t-il. Le sultan, qui a régné au cours du XVIIIe siècle, apposa sa signature dans l’une des pierres de taille de la Scala: «Barakat Mohamed».
Alors, dans ce dernier geste architectural d'Oscar Niemeyer, André Azoulay aime à voir «la baraka de la ville», car «rien ne se fait par hasard», sourit celui à qui l’inspiration donne des ailes quand il s’agit de parler d’Essaouira.
On imagine aussi Oscar Niemeyer s’extasier sur les courbes des bâtisses, la liberté des formes, qui lui était si chère, et la modernité de cette ville qui a connu tant de civilisations.
Et pourtant, chose incroyable… Oscar Niemeyer ne se rendit jamais au Maroc et n’a jamais mis les pieds à Essaouira.
«Il ne voyageait jamais en avion, toujours en bateau ou en train», nous explique André Azoulay. Une peur de toujours, qui révèle à quel point les plus grands hommes ont, eux aussi, des fragilités et des angoisses qui font leur humanité.
Essaouira, c’est donc à travers André Azoulay et son ami l’ambassadeur du Brésil au Maroc, Fred Meyer, qu’il va la découvrir dans un premier temps. Et pour nourrir son inspiration avant de réaliser l'esquisse du bâtiment, il enverra à Essaouira son équipe, accompagnée notamment des deux architectes marocains, pour y visiter trois différents sites et choisir l'emplacement final de la Cité des arts.
Jair Valera, principal collaborateur d’Oscar Niemeyer, apporte un complément d’éclairage sur la façon dont l’architecte a dessiné le site d’Essaouira. Il précise dans le hors-série de la revue Architecture d’Aujourd’hui, consacré à Niemeyer en 2013: «pour le centre culturel d’Essaouira, au Maroc, je me suis rendu sur place l’an dernier. J’ai pris des photos du terrain, de la ville, et il [Oscar Niemeyer] a dessiné le bâtiment».
Ce grand projet, le dernier de l'oeuvre d'Oscar Niemeyer, fera assurément date dans l’histoire de la ville, et dans celle de l’histoire de l’architecture dans le monde, d’autant que, comme le rappelle Rachid Andaloussi, «Essaouira, déjà dotée de 14 festivals, sera enrichie par un festival de l’architecture». La boucle est bouclée.