Saâd Chraïbi est considéré comme étant l'un des noms les plus importants et les plus en vue du cinéma marocain. Non parce qu'il a réalisé plusieurs films qui ont marqué le cinéma de notre pays, mais pour la simple raison que sa filmographie datant de la fin des années 70 a connu une évolution remarquable avec, à la clé, plusieurs changements esthétiques et artistiques.
De cette évolution est né son livre, «Fragments de mémoire cinématographique», un ouvrage où il fait le récit de ses débuts dans le 7e art et où il découvre que l’acte d’écrire est une angoisse physique.
Ce qui a poussé le réalisateur à se lancer dans cette nouvelle aventure, c’est la prise de conscience d’une réalité amère. Celle de la pauvreté des archives cinématographiques: «lorsque je préparais mes films, je me heurtais presque systématiquement à cette réalité. C’est là que j’ai réalisé que je pouvais contribuer pour changer cette situation».
Dans son ouvrage, Saâd Chraïbi rejette les discours académiques officiels et s’intéresse plutôt aux coulisses des festivals, des rencontres de l’université et des ciné-clubs.
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Ce type d'écriture occupe selon lui une place centrale, car elle fournit une riche matière de connaissance permettant de tisser une relation forte avec le film. «Les critiques de cinéma sont un véritable laboratoire de réflexion permettant de tisser une relation forte avec le film et tous les autres contenus cinématographiques», témoigne Saâd Chraïbi.
L’auteur du film «Les Trois grands-mères», sur la coexistence entre juifs, chrétiens et musulmans, tient à souligner l'importance de la Ligue Nationale des Ciné-Clubs, au moment même où son rôle a commencé à s'amenuiser dans la scène marocaine, à cause de l’hégémonie et de l'autorité des réseaux sociaux. Une même hégémonie qui, selon le cinéaste, a imposé de nouvelles habitudes de projection et de réception du film.
En revanche, Saâd Chraïbi confirme que le concept d'«engagement» n'a pas changé, car il ne s'agit pas d'une tendance intellectuelle associée au contexte des années 70 ou 80, mais plutôt d'un concept qui fonde la pensée du réalisateur et l’aide, à travers elle, à construire de nombreux films liés aux enjeux et problèmes qui touchent politiquement, culturellement et socialement la scène arabe.
C’est ce qui paraît d’ailleurs évident dans son dernier film, dans lequel il s'est efforcé de transcender la dimension divertissement-consommation des images cinématographiques. «Le spectateur qui m’intéresse ce n’est pas celui qui considère le film comme un repas. Qui sort du cinéma et rentre chez lui en n’ayant rien retenu du film. C’est le spectateur intelligent qui m’intéresse», explique-t-il.
Toutes les scènes de son film s'identifient selon lui d'une manière ou d'une autre à des concepts intellectuels antérieurs à l'émergence du film. L'amour de Saâd Chraïbi pour le récit lui a fait réaliser un film historique libéré des catacombes de la mémoire.