Qu’est-ce qu’une nation? (suite)

Fouad Laroui.

ChroniqueLa culture, loin d’être un luxe, est une nécessité, parce qu’elle seule permet d’imaginer une communauté de destin à partir d’un patrimoine commun.

Le 31/07/2024 à 11h02

On en était resté à la constatation suivante: un peu partout dans le monde, la nation, en tant que représentation idéale commune qui rend solidaires les uns des autres les habitants d’un pays, est en crise.

Les intuitions d’Ibn Khaldûn, de Renan et d’Anderson permettent de comprendre ce délitement.

Internet et la mondialisation font que, dans une aire géographique donnée, on ne lit plus les mêmes journaux ni les mêmes livres, on ne regarde plus les mêmes films. Il devient donc difficile à ceux qui vivent dans cette aire de former une nation en tant que ‘communauté imaginée’, selon la formule d’Anderson.

Pour les mêmes raisons, mais aussi à cause de la formation de grands blocs (l’UE, par exemple), le ‘désir de vivre ensemble, d’envisager un avenir commun’ s’estompe; or c’est ce désir qui fonde la nation, selon Renan; d’où le dépérissement du sentiment national.

La nation devenant un peu partout évanescente, c’est la ‘asabiyya tribale d’Ibn Khaldûn qui revient sur le devant de la scène en tant que ciment de groupements humains. Les Insoumis français ou les partisans de Trump aux States se vivent comme des tribus, unies par l’esprit de corps. Ils renforcent leur unité en dirigeant la violence vers l’extérieur, vers les autres ‘tribus’, désignées comme ennemies.

Qu’est-ce que tout cela signifie pour nous?

1. Si on ne lit plus les mêmes journaux ni les mêmes livres, si on ne regarde plus les mêmes films, il faut alors trouver la parade dans ce même domaine, qui est celui de la culture. Notre sympathique ministre ne sera pas étonné si on lui dit que la culture, loin d’être un luxe, est une nécessité. Il le sera peut-être si on précise pourquoi: parce que seule la culture, au sens large, permet d’imaginer entre nous tous une communauté de destin à partir d’un patrimoine commun, qu’il s’agit donc de protéger, de faire connaître à tous, de mettre en valeur, de faire vivre, en somme.

2. La formation de grands blocs étant préjudiciable à l’idée de nation, il ne faut pas accorder trop d’importance aux ‘machins’ supra-nationaux tels que l’Union du Maghreb arabe. Bien sûr, le commerce adoucit les mœurs et rien n’interdit de s’ouvrir à tous les vents par les échanges commerciaux; mais ce n’est que dans le cadre de la tamaghribit, dans son pré carré, que la nation peut être préservée, avec le chef de l’État comme symbole de son unité, selon les termes de l’article 42 de la Constitution.

3. Enfin, il faut à tout prix éviter les formes particulières, locales, de ‘asabiyya, qui sont l’antithèse de la nation. La forme la plus pernicieuse en est le régionalisme étroit, mal compris.

Si nous faisons attention aux trois points ci-dessus, nous continuerons de former une nation et nous ne risquerons pas de dégénérer en un conglomérat de groupes fermés sur eux-mêmes, hostiles, et qui se regardent en chiens de faïence, comme l’Afrique du Sud, cette non-nation qui se permet en plus de le prendre de haut avec nous -mais ça, c’est une autre histoire, comme dirait Kipling.

Par Fouad Laroui
Le 31/07/2024 à 11h02