Fervent admirateur et soutien du jeune écrivain de 31 ans, Tahar Ben Jelloun se dit «très content» de la victoire de ce livre qu’il «porte en (lui) depuis le mois de juin».
Pour l’écrivain marocain, La plus Secrète Mémoire des hommes tient lieu de «révélation» et lorsqu’il évoque ce troisième roman du jeune écrivain sénégalais originaire de Diourbel, Tahar Ben Jelloun ne tarit pas d’éloges.
«C’est un très bon livre, pas facile pour autant, exigeant. C’est un livre qui est beau et que ceux qui aiment la littérature vont adorer», résume-t-il.
Lire aussi : Le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr remporte le Goncourt 2021
Publié aux éditions Philippe Rey en France et Jimsaan au Sénégal, La plus Secrète Mémoire des hommes se situe en 2018 et raconte l’histoire de Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, qui découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938, Le Labyrinthe de l’inhumain. L’auteur de ce livre, un mystérieux T.C. Elimane, a disparu sans laisser de trace, après que son livre ait provoqué un scandale en France, où on le surnommait à l’apogée de sa gloire, le «Rimbaud nègre», et au Sénégal, son pays. Fasciné par le mystère qui entoure sa disparition, Diégane s’engage sur la piste de cet écrivain d’un autre temps, suivant sa trace à travers les âges, du Sénégal à la France en passant par l’Argentine.
«Ce livre est un hymne à la littérature, à l’écriture et à l’imaginaire», commente Tahar Ben Jelloun, rappelant au passage que Mohamed Mbougar Sarr s’est inspiré de l’histoire vraie de l’écrivain malien Yambo Ouologuem, célébré puis détruit par la critique en 1968.
Un Goncourt culturellement politiqueMais outre la beauté de l’écriture de ce roman-enquête adulé par la critique et «élu au premier tour», comme nous le révèle Tahar Ben Jelloun, l’intérêt de cette édition 2021 du prix Goncourt est aussi sa richesse en symboles. Ainsi, à ce premier Prix Goncourt remis à un auteur subsaharien, Tahar Ben Jelloun confère une dimension à la fois culturelle mais aussi politique.
«Politiquement, c’est un signe important, surtout en ce moment où s’appeler Mohamed n’est pas très facile», amorce Tahar Ben Jelloun, évoquant à demi-mot la montée en puissance mais surtout la banalisation des discours d’extrême-droite en France, alors que la campagne présidentielle bat son plein.
Lire aussi : Un Goncourt pour Mohamed?
«Cela rappelle aussi que la langue française est de plus en plus célébrée et servie par des non-Français, des Africains, des Arabes… Et ce, alors même que l’Etat français a une politique très faible vis-à-vis de la francophonie et qu’il laisse tomber sa langue en rognant sur les budgets des instituts français dans le monde», condamne l’écrivain marocain et membre du jury du Prix Goncourt. Mais il n’en demeure pas moins que «la langue française survivra malgré cette politique minable», poursuit-il, en confiant au passage que «Mohamed Sarr est très conscient de cela».
La francophonie debout!Et ce n’est pas peu dire, car Mohamed Mbougar Sarr a un point de vue bien affirmé s’agissant de l’usage de la langue française au sein de la francophonie. N’adresse-t-il pas d’ailleurs dans son roman, une mise en garde pour le moins criante de vérité à ses congénères? «Méfiez-vous intellectuels et écrivains africains de ce genre de récompenses. Au fond, vous resterez des étrangers, quelle que soit la valeur de vos œuvres».
Questionné sur le sujet par le média en ligne Brut, l’auteur explique sa pensée. «Je pense qu’il est important que, petit à petit, on se rende compte que la francophonie est très large et que petit à petit, on se rende compte que la langue française est possédée par plusieurs millions de personnes dans le monde. Et que ces personnes là viennent de partout, (…) d’Afrique, (…) d’Amérique du Nord, d’Haïti… Louis Philippe Dalembert (Ndlr : auteur haïtien), par exemple, est en finale du prix Goncourt: ça veut dire quelque chose», explique ainsi Mohamed Mbougar Sarr.
Lire aussi : En attendant le Prix Goncourt, le jury passe à table!
Et d’interroger, en évoquant les auteurs nominés au prix Goncourt, «un Sénégalais y est, un Haïtien y est. Qu’est-ce que ça dit?»
«Ça dit simplement que cette langue, elle est de partout, elle vient de partout et qu’il ne faudrait pas toujours voir que les écrivains qui viendraient d’un ailleurs et qui se retrouvent tout de même dans ces sélections-là, ou à un certain degré de reconnaissance, y sont parce qu’on leur fait des faveurs, ou parce que ce sont des symboles de représentativité. Ils possèdent clairement cette langue, ce sont des écrivains à part entière, considérons-les comme des écrivains à part entière» poursuit l’auteur.
Et de conclure, «il faut que toutes les personnes qui possèdent la langue française et qui l’écrivent depuis des siècles puissent entrer de façon tout à fait normale dans les lieux où on récompense les livres en langue française et que ça ne relève pas d’un régime d’exceptionnalité».