Les dictateurs ont la haine de l’intelligence. Ils détestent les écrivains, les artistes, les penseurs, tous ceux qui font de la liberté la valeur suprême et qui les dénoncent par leurs créations. Boualem Sansal est un grand écrivain, un écrivain majeur de cette nouvelle génération d’intellectuels maghrébins qui nomment les choses et n’hésitent pas à aller très loin dans leur engagement. Il a de tout temps mené une lutte acharnée contre les islamistes qui ont participé à la guerre civile terrible de la décennie 1991-1999. Deux cent mille morts.
Boualem Sansal connaît le pouvoir de l’intérieur, car avant de publier des romans, il a travaillé en tant qu’ingénieur dans le domaine industriel. Il sait les rouages de cette dictature militaire et ses manigances pour s’accaparer les biens que procure la manne pétrolière et gazière.
Boualem Sansal, courageux, a toujours insisté pour vivre dans son pays. Il l’a quitté il y a quelques mois, quand, pour des raisons qui lui appartiennent, il a demandé la nationalité française.
Cette arrestation a lieu au moment où le général Saïd Chengriha, ministre délégué de la défense et chef d’état-major de l’armée, est entré au gouvernement de M. Tebboune. Il a commencé par limoger le numéro 2 de l’armée et prendre, à sa manière, tout le pouvoir.
La contestation du régime n’est pas nouvelle. Aussi bien Boualem Sansal que Kamel Daoud, le Prix Goncourt de cette année, n’ont jamais renoncé à dénoncer le régime impopulaire d’Alger. Aujourd’hui, Boualem Sansal est en train de payer, non pas le fait d’avoir critiqué le régime, mais d’avoir dans une déclaration récente rappelé un fait que l’armée ne peut absolument pas entendre: «Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc: Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara». Cette vérité historique est insupportable. Il aurait pu ajouter que la ville de Tindouf faisait partie du Maroc jusqu’en 1932 lorsqu’un colonel de l’armée française a décidé de l’intégrer au territoire algérien, français à l’époque. On venait d’y découvrir des mines de fer importantes.
Évidemment, l’Algérie indépendante a toujours refusé de rendre cette ville au Maroc.
Ce rappel est douloureux pour des généraux qui ont fait de la lutte contre l’intégrité territoriale du Maroc à propos de son Sahara, une obsession qui les mène à des menaces belliqueuses contre le Maroc. En une année, l’Algérie a consacré 25 milliards de dollars à l’achat d’armes. Le Maroc moitié moins.
Le fait que Macron ait reconnu la marocanité du Sahara (29 juillet 2024) a rendu ces généraux fous de rage.
Le chanteur Cheb Khaled (Aïcha; écrite par Jean-Jacques Goldman) a acquis la nationalité marocaine en 2013. Depuis, il est devenu la bête noire du régime. Il vient d’être accusé «d’espionnage» contre l’Algérie au profit évidemment du Maroc. Un chanteur espion! C’est du délire.
Par ailleurs, un rappeur, Lotfi Double Kanon, est lui aussi poursuivi par les autorités d’Alger pour avoir chanté «Ammi Tebboune», un titre où il dénonce le régime dictatorial de son pays. Depuis le 11 novembre, date de sa mise en ligne, le tube a récolté plus de 4,2 millions de vues sur YouTube.
Il faut placer l’arrestation de notre ami Boualem Sansal dans le contexte d’un régime qui se durcit parce qu’il sait qu’il est de plus en plus impopulaire et assez isolé sur le plan diplomatique. La haine du régime algérien pour la France a redoublé de férocité après la visite d’Emmanuel Macron au Maroc (du 28 au 30 octobre dernier) et la signature d’une vingtaine d’accords dont certains concernent des investissements français au Sahara marocain.
Quoi qu’il en soit, Macron devra tout faire pour libérer l’écrivain et le citoyen français Boualem Sansal.