Les montagnes de l’Anti-Atlas, précisément au sud de Taroudant, abritent des secrets enfouis depuis des anciennes ères géologiques. Des chercheurs y ont récemment fait une découverte des plus surprenantes: des traces fossiles d’invertébrés remontant à près 539 millions d’années. Ces vestiges, les premiers de leur genre trouvés au Maroc, offrent une fenêtre sur la transition de l’Édiacarien au Cambrien, une époque marquée par une explosion de vie et une diversification des organismes pluricellulaires.
Dirigée par le professeur Abdelfattah Azizi, de la faculté des sciences et techniques (FST) de l’université Cadi Ayyad de Marrakech, cette recherche a permis d’identifier des marqueurs biologiques importants. Ceux-ci facilitent la datation précise des terrains géologiques et apportent des preuves concrètes de la transition entre les époques de l’Édiacarien et du Cambrien dans la région.
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Contacté par Le360, Pr Abdelfattah Azizi explique que le Précambrien est un éon géologique qui couvre une période très longue dans l’histoire de la Terre. Pendant la majeure partie de cette ère, il n’y avait pas de formes de vie multicellulaires complexes, ce qui signifie qu’il y avait peu ou pas de fossiles de plantes ou d’animaux que l’on peut retrouver dans les couches géologiques.
«Les premières formes de vie étaient principalement des microorganismes unicellulaires. En revanche, le Cambrien est une période caractérisée par l’apparition de nombreuses formes de vie animale. Cette période géologique a vu l’émergence des premiers animaux multicellulaires reconnaissables, notamment les mollusques et les vers», fait-il savoir.
Une phase de «remaniement» des écosystèmes?
Les fossiles d’invertébrés découverts à Taroudant remontent à environ 539 millions d’années, ce qui correspond à la transition de l’Édiacarien au Cambrien. «Ce moment particulier de l’histoire de la Terre se caractérise par deux aspects majeurs. Tout d’abord, il a vu la disparition des écosystèmes et de la faune qui caractérisaient l’Édiacarien, laissant place à de nouveaux organismes pluricellulaires et à des écosystèmes bien plus diversifiés propres à l’ère phanérozoïque. De plus, cette période est marquée par des transformations dans le comportement des animaux, en particulier au sein des populations benthiques (organismes vivant au fond de l’eau, NDLR), ce qui se manifeste par une augmentation soudaine de l’intensité et de la profondeur des traces fossiles. Il s’agit là d’un moment clé de l’histoire de la Terre, qui demeure encore peu documenté», note le chercheur.
D’après Pr Abdelfattah Azizi, l’Anti-Atlas occidental est caractérisé par d’importantes étendues de couches sédimentaires marines qui n’ont subi que peu ou pas de processus de métamorphisme, couvrant ainsi la période entre l’Édiacarien et le Cambrien. «Bien que réputée azoïque, la région présente localement des dépôts fossilifères dont l’activité des êtres vivants se présente sous forme de pistes ou terriers horizontaux et verticaux, attestant l’activité biologique de métazoaires vermiformes (organismes multicellulaires en forme de vers, NDLR) et d’autres organismes ressemblant aux anémones de mer (des animaux marins semblables à des fleurs, dotés de tentacules urticants pour capturer leur nourriture, NDLR). Ces fossiles sont le reflet de la première apparition d’organismes pluricellulaires capables de se déplacer et de creuser dans les sédiments», fait-il observer.
Il s’agit notamment de:
- Treptichnids: un groupe de traces fossiles caractérisées par des motifs en forme de S ou de zigzag laissés par des organismes qui se déplaçaient à travers les sédiments marins anciens;
- Monomorphichnus isp.: des traces fossiles qui indiquent généralement des mouvements de reptation ou de ramper effectués par un organisme préhistorique;
- Helminthoidichnites isp.: des traces fossiles qui ressemblent à des mouvements de reptation ou de glissement laissés par des créatures primitives;
- Gordia isp.: des traces fossiles caractérisées par des tunnels ou des galeries creusés dans les sédiments par des organismes anciens;
- Palaeophycus isp.: des traces fossiles qui ressemblent à des marques laissées par des algues ou des plantes anciennes sur les fonds marins;
- Planolites isp.: des traces fossiles associées à des creusements en forme de tunnels ou de sillons laissés par des organismes qui se sont déplacés dans les sédiments;
- Conichnus isp: des traces fossiles se caractérisent par des formes coniques ou des empreintes laissées par des organismes qui ont interagi avec les sédiments.
Vue de surface de traces de fossiles au sud de la région de Taroudant.
Selon le chercheur, des analyses isotopiques effectuées sur l’intervalle Édiacarien-Cambrien du même site ont révélé une signature similaire à celle enregistrée dans d’autres endroits à travers le monde. «Lorsque l’on combine ces données avec les informations issues des traces fossiles, il devient plausible de localiser la transition entre l’Édiacarien et le Cambrien dans l’Anti-Atlas occidental, en la situant précisément à la jonction de deux couches sédimentaires distinctes, connues sous les noms de membres de Tifnout et de Tabia, qui composent la Formation nommée Adoudou», relève-t-il.
Pour Pr Abdelfattah Azizi, cette découverte serait d’une grande importance scientifique et paléontologique pour plusieurs raisons. «Elle permettra de mieux retracer l’histoire évolutive des invertébrés, de comprendre les mouvements tectoniques, les environnements marins anciens et d’autres aspects de la géologie de cette période et d’en apprendre davantage sur l’évolution du comportement animal au fil du temps. Ce n’est que la première partie de notre recherche. Nous sommes en train de creuser davantage pour comprendre ces éléments», conclut-il.