Mythes et légendes de l’Atlantique

Mouna Hachim.

Mouna Hachim.

ChroniqueAprès notre précédent périple en Méditerranée, mêlant histoire et farniente en bord de mer, l’aventure se poursuit sur un autre plan, à la rencontre de mythes et de légendes d’antan, depuis Cap Spartel à Massa.

Le 19/08/2023 à 10h27, mis à jour le 19/08/2023 à 11h05

Tant qu’à voyager par l’esprit, autant effectuer de grandes enjambées!

Après notre périple précédent en Méditerranée, mêlant histoire et farniente en bord de mer, l’aventure se poursuit sur un autre plan, à la rencontre de mythes et de légendes d’antan.

S’impose par lui-même, pour commencer, ce promontoire dominant la mer: le Cap Spartel, Ampelusia des auteurs de l’antiquité.

C’est là que se rencontrent les eaux de l’Atlantique et de la Méditerranée.

C’est là aussi, à près de 15 km au large, que se trouve le banc Spartel, ancienne île immergée, vue par le géologue et préhistorien français Jacques Collina-Girard comme un site ayant pu nourrir le mythe de l’Atlantide, pays de Cocagne brutalement englouti à la suite d’un cataclysme datant d’il y a plus de 12.000 ans.

Le philosophe Platon l’avait bien situé en face des Colonnes d’Hercule, soit quelque part aux environs du détroit de Gibraltar!

«Selon la fable, raconte la « Géographie ancienne et historique », Hercule ayant trouvé les deux montagnes réunies, Calpé et Abyla, les sépara, et fit par ce moyen communiquer les eaux de l’Océan avec celles de la Mer-Intérieure. Il y érigea deux colonnes avec cette inscription: Nec plus ultra, comme pour désigner que c’était le bout du monde».

Comme vestiges de cet exploit subsistent les grottes d’Hercule, excavations creusées par les eaux, à flanc de falaises, pour servir, près du Cap, de retraite au guerrier victorieux.

Même un peu plus au sud, dans la région de Larache, le souvenir du héros grec, dont l’épopée est rapprochée de celle du Mésopotamien Gilgamesh, continue à hanter les lieux…

Nous sommes dans le fief des filles d’Atlas, nymphes du Couchant, nommées Hespérides, gardiennes d’un jardin fabuleux dont l’emplacement serait, d’après l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, la vallée du Loukkos, à la limite occidentale du monde connu.

Les légendes anciennes placent là aussi, à Lixus, sur la rive droite de la rivière, le palais du roi Antée.

Lors de son expédition contre les Hespérides, figurant parmi ses douze travaux, Hercule déroba trois fruits d’or du jardin défendu par un redoutable dragon.

Il terrassa, par la même occasion, le géant Antée qui aurait pris pour dernière demeure le Cromlech de Mzoura, monument mégalithique au sud-est d’Asilah.

Les habitants de Tanger auraient témoigné à l’historien Plutarque qu’après la mort d’Antée, son épouse Tingi revint à son vainqueur. Hercule en eut un fils, appelé Sophax, fondateur de la cité du détroit, à laquelle il donna le nom de sa mère.

Notre navigation continue, nimbée de mystères…

Arrivés à la Merja Zerga, féerique lagune bleue, refuge des oiseaux, des hérons, des oies cendrées et des flamants roses, nous contemple le sanctuaire du saint-patron des lieux, Moulay Bousleham, sur la rive du chenal qui va à l’océan.

Les livres savants nous disent sur le maître de céans qu’il s’agit du cheikh mystique Abou-Saïd al-Misri, surnommé Abou-Silhama, l’Homme au Selham, fameuse cape à capuchon à laquelle la fable populaire attribue quelques prodiges, dont celui d’avoir stoppé la colère des flots.

Il se murmure aussi dans quelques assemblées les bribes d’une romance entre le saint-homme et sa servante dévouée Lalla-Mimouna, à laquelle la légende prête comme vertu d’avoir demandé à Dieu de l’enlaidir pour ne pas dissiper le saint de sa piété.

Ne brisons pas le charme de cette idylle et poursuivons!

Toute exploration du genre ne peut échapper à Sidi Bouzid, station balnéaire près de l’ancienne cité de Tit, actuelle Moulay Abdallah.

Si le nom laisse penser de prime abord à une origine arabe, contraction du prénom Abou-Zayd (Père de l’abondance), des chercheurs n’hésitent pas à établir des liens entre certains Sidi Bouzid de la côte et le nom du dieu de la mer Poséidon, dont ils constitueraient le vestige du culte à ses temples.

La connaissance de cette figure majeure du panthéon grec serait bien venue aux Grecs par les Libyens, si l’on devait se fier à l’historien Hérodote qui situe son culte près du Lac Triton aux environs du Golfe de Gabès!

Par ailleurs, le Périple d’Hannon soutient que le navigateur carthaginois a établi, vers le milieu du Ve siècle av. J.-C, un temple dédié à Poséidon sur le Cap Soloeis (Promontoire du soleil), assimilé tour à tour au Cap Blanc (soit l’actuel Jorf Lasfar) ou au Cap Cantin (soit Beddouza).

Le long de notre avancée, en haut de la falaise appelée «Jorf Lihoudi» (Cap du Juif), repose un étrange tombeau de géant, mesurant plus de dix mètres de long, dit «Qabr al-nabi»!

Il abriterait, rien de moins, que la tombe du prophète «Sidi Denien» (Daniel) dans ce qui est expliqué comme une survivance de pratiques religieuses multimillénaires.

Et ce ne sont pas les légendes bibliques qui manquent dans les parages!

À Souira Qdima se trouvait ainsi un antique monastère, avec pour ancêtre fondateur Artn, qui aurait accosté là bien avant l’avènement de l’islam.

Apôtre de Jésus, il aurait fui en compagnie de trois autres condisciples les persécutions qu’ils subissaient en Espagne dans leur foi monothéiste, probablement de tendance arianiste proclamant l’unicité divine.

De sa descendance, sur les bords d’oued Tensift, serait issu Aïssa, surnommé Bou-Khabia (l’Homme à la gargoulette), un des sept saints Regraga, rendus célèbres pour avoir rendu visite au Prophète Sidna Mohamed et pour avoir été désignés comme islamisateurs de leurs contribules avant l’arrivée des troupes arabes.

Je ne cherche pas à démêler la vraisemblance historique de l’écheveau des fables ni ne me fie à l’apparence de petites bourgades qui dorment.

Nous voilà donc à Massa, dont le port, si l’on en croit l’historien et géographe Yaâqoubi du 9ème siècle, servait de mouillage de bateaux venus d’Irak.

Là aussi circulent les plus énigmatiques des légendes.

Ibn Idhari al-Mourrakouchi est le premier auteur à évoquer aux 13ème-14ème siècles la mosquée bâtie par le prophète Jonas qui aurait échoué sur sa plage.

Aussitôt sorti des profondeurs de l’abîme et craché des entrailles du gros poisson, Jonas aurait construit là, en cette terre de renouveau, un lieu de purification qui finit plus tard désagrégé par l’océan.

Mais il en serait resté une pierre, qui prit son nom, placée au cœur de pratiques rituelles implorant la grâce et la baraka.

Al-Mourrakouchi écrit, comme Léon l’Africain après lui, que le conquérant du Maghreb Oqba ibn Nafiî, en arrivant en ces lieux depuis Igli, aurait conduit son cheval jusque dans les flots, en témoignant devant Dieu qu’il ne lui restait plus de territoire à l’Ouest pour porter sa Parole, tout en proclamant :

«Que le salut soit sur vous Amis de Dieu!».

Ses compagnons lui demandèrent alors l’identité de ses interlocuteurs. Oqba leur répondit:

«Le peuple de Jonas que le Salut soit sur lui!».

Depuis le temps, le couvent fortifié érigé dans cet espace sacré dépassant par son aura spirituelle son périmètre géographique et attirant un cortège de pèlerins, disparut sous les dunes qui le bordent de tous côtés.

Pour seuls témoins subsistent des débris de pierres anciennes, des sanctuaires surmontés de dômes lumineux et des souvenirs rebelles nichés près de cette réserve naturelle d’oiseaux, tels des spécimens précieux …

Par Mouna Hachim
Le 19/08/2023 à 10h27, mis à jour le 19/08/2023 à 11h05