La plus ancienne mosquée des Pays-Bas, qui porte le nom de «Mobarak», vient de fêter ses soixante ans. Elle se dresse fièrement au centre de La Haye, la ville où siège le gouvernement du pays et où réside officiellement le roi (mais qui, pour autant, n’est pas la capitale du pays, car la capitale, c’est Amsterdam…). Soixante ans, c’est un âge vénérable, n’est-ce pas ? Mon ami Pieter, journaliste un peu déjanté, naïf ou roublard, on ne sait trop, a voulu faire la tournée des communautés musulmanes du pays pour voir si celles-ci allaient se joindre aux festivités.
Il commence par des Marocains. Ceux-ci, très étonnés de n’avoir jamais entendu parler de la mosquée «Mobarak», lui demandent des précisions. Floris répond qu’elle appartient à la communauté Aymadiyya.
- C’est qui, ces zigotos ?
Floris explique que l’ahmadisme est un mouvement réformiste musulman fondé au Penjab par un certain Mirza Ghulam Ahmad à la fin du XIXe siècle. Le Penjab se trouvait alors sous domination britannique. En 1889, très exactement, l’ami Mirza Ahmad proclame que Dieu lui a ordonné de restaurer l’islam dans sa pureté originelle. Il se déclare d’abord mujaddid («rénovateur»), puis carrément mahdi. Et allez donc ! Quand les bornes sont franchies…
- Oh là ! s’exclament les Marocains horrifiés. Muhammad est le dernier Prophète et le mahdi muntadar ne viendra qu’à la fin des temps. Comment ose-t-il, ce Penjabi, se proclamer à la fois nouveau prophète et mahdi ? Y a d’l’abus ! Et en plus, Mirza, c’est un nom de chien, non ? On n’a pas idée de prétendre être prophète avec un nom pareil…
Venus jeunes aux Pays-Bas, certains immigrés marocains se souviennent en effet d’une chanson qu’on fredonnait dans les années soixante-dix au Maroc : Z-avez pas vu Mirza ? Oula, oula, la la… (C’était pas un chanteur du nom de Nino Ferrer qui braillait cette ritournelle ?)
Bref, Pieter se fait expulser de chez les Marocains avec pertes et fracas. Il essaie les Turcs, on l’envoie balader. Les Indonésiens ne lui ouvrent même pas leur porte. Quant aux Pakistanais non-ahmadis, ils lui apprennent que l’ahmadisme a été déclaré «non-musulman» par le Parlement Pakistanais en 1974. En allez-vous, Monsieur !
Moi, ce qui m’intéresse dans cette histoire, c’est la chose suivante : tout est resté au niveau de la parole. Les uns et les autres ont opposé une fin de non-recevoir au journaliste, les Ahmadis ont fêté leur anniversaire tout seuls, mais personne n’est allé leur casser la gu…. ou fiche le feu à leur contestable mosquée. Moyennant quoi, chacun reste maître chez soi et on vit tous paisiblement, les uns à côté des autres. N’est-ce pas un exemple pour ces pays (suivez mon regard…) où, dès que quelqu’un ne pense pas exactement comme nous, il devient urgent de l’emprisonner, de le fouetter ou carrément de le décapiter ?