Hommage. Mohamed El baz, sa vie, son œuvre, ses traces, vus par ses complices

Lors de la table ronde organisée en hommage à l’artiste défunt Mohamed El baz, à la galerie d'art L’Atelier 21, à Casablanca, le 11 juin 2024.

Le 12/06/2024 à 14h04

VidéoL’âme de Mohamed El baz était omniprésente, le mardi 11 juin à la galerie d’art L’Atelier 21, à Casablanca, où ses amis et complices ont rendu un vribrant hommage à l’artiste défunt.

Ils étaient nombreux à rendre hommage à l’artiste défunt Mohamed El baz, le mardi 11 juin, lors d’une table ronde tenue dans les locaux de L’Atelier 21. La galerie d’art casablancaise, où l’artiste a tenu six expositions individuelles, avait invité plusieurs de ses amis et proches à venir témoigner de sa carrière et de son œuvre éclectique.

Si la formule «Bricoler le monde», empruntée au philosophe roumain Émile Cioran, a été adoptée par El baz, qui en a estampillé plusieurs de ses projets artistiques, elle doit être, selon Olivier Rachet, assumée d’abord par le spectateur de son œuvre. «Mohamed El baz mettait un coup de pied dans la fourmilière puis nous laissait nous nous débrouiller avec le résultat», commente ce critique et enseignant, reprenant le propos du journaliste Amine Boushaba. Ce dernier, modérateur de la table ronde hommage à Mohamed El baz, avait en effet qualifié son travail de «bombe».

Dans son communiqué, la galerie L’Atelier 21 relève d’ailleurs qu’«à partir d’installations, de photomontages, de performances ou de sculpture, se posait en permanence l’équation d’un monde marqué par la déflagration» dans le travail de l’artiste. Et si Mohamed El baz avait pour habitude de prendre une certaine distance par rapport à l’incidence de ses œuvres, il était engagé corps et âme dans la réflexion et la pensée avant et pendant leur production, et rien pour lui n’était impossible. Preuve en est le projet pharaonique, presque utopique, de la transformation de l’esplanade de la Tour Hassan à Rabat. Le projet a duré deux ans et n’a jamais été montré au public.

L’architecte Arnaud Gilles, présent à la table ronde aux côtés de Fouad Bellamine et Jamal Abdenasser, a témoigné sans mâcher ses mots de la détermination de l’artiste. «Notre collaboration a démarré en 2015 sur un projet du groupe Alliances et j’étais frappé par la détermination et la persévérance de Mohamed El baz, qui voulait modifier la Tour Hassan, y ajouter des espaces», a souligné celui qui était l’un des architectes des rêves de l’artiste. Ce dernier, généreux en temps et en énergie, avait pour habitude de fédérer et de rassembler autour de lui des professionnels d’autres disciplines, comme pour créer une sorte de constellation gravitant autour de lui et avec lui.

L’équipe de L’Atelier 21 le qualifie d’ailleurs de véritable propulseur d’énergies. Jamal Abdenasser aussi. Cet agitateur culturel, grand ami et complice de Mohamed El baz, avec qui il a travaillé sur plusieurs projets, dont des vidéos pour son évènement Casaprojecta, déclare pour Le360 que «Mohamed El baz abordait l’exposition comme un projet, et non pas comme un simple accrochage. Son oeuvre est une thématique globale, un cri, une proposition, un questionnement. On ne sait jamais ce qu’il va nous proposer dans la prochaine exposition. Il était imprévisible».

Imprévisible, et surtout déconcertant. Son projet «Never Basta 06», auquel a collaboré Jamal Abdennasser, et pour lequel El baz fit appel à des mannequins, leur confectionna des tenues et chaussures sur mesure, d’un blanc immaculé, et leur demanda de prendre la pose avec un cœur de veau dans la paume de la main, illustre parfaitement la vision subversive de l’artiste. Ces photographies faisaient partie de l’exposition «Bricoler l’incurable», en 2013, à la galerie d’art L’Atelier 21.

«Réparateur de l’incurable ou Punk situationniste»

Le travail, et la pensée critique de Mohamed El baz, ont influencé plusieurs artistes, y compris ceux dont le travail ne s’inscrit pas dans sa mouvance de «Punk situationniste», comme le qualifie Olivier Rachet. L’artiste peintre Fouad Bellamine était là pour en témoigner. Ce doyen de la peinture contemporaine marocaine racontera comment il a fait sa connaissance dans les années 80. «J’étais à la Cité des arts en 1984-1985 et un de mes voisins artistes, Laurent Jubert, me parlait souvent de lui, car il s’intéressait beaucoup à son travail. Par la suite, alors que j’étais un adepte des revues d’art, j’ai lu une colonne sur Artpress qui parlait de lui… J’ai fini par le rencontrer et je lui ai proposé de venir à Rabat. Nous avons même collaboré ensemble sur un projet autour du jeu de cartes «Ronda», et c’est là que l’idée de bataille a germé et pris forme», se rappelle le plasticien qui fait partie des premiers à introduire Mohamed El baz dans le microcosme du marché de l’art marocain.

Des années après leur première rencontre, l’œuvre picturale de Fouad Bellamine a gardé des «séquelles» de l’influence de Mohamed El baz. Cette expérience vient rappeler qu’on ne se remet jamais de l’ébullition de la pensée de cet artiste aux multiples talents.

Par Qods Chabâa et Khalil Essalak
Le 12/06/2024 à 14h04