Déjà montré dans plus d’une trentaine de festivals dans le monde, le film «La Mère de tous les mensonges», d’Asmae El Moudir, a été enfin présenté en première marocaine. C’était le mardi 28 novembre, durant la 20ème édition du Festival international du film de Marrakech (FIFM), où le film est en compétition officielle.
Juchée sur la scène de la salle des ministres, au Palais des congrès de Marrakech, la jeune réalisatrice était visiblement submergée par l’émotion. «Croyez-moi, j’ai présenté ce film plusieurs fois, dans plusieurs coins du monde, mais cette première, ici à Marrakech, dans mon pays, est très spéciale. J’ai rêvé de cet instant, d’être devant mon public, ici au Maroc», a-t-elle lancé face à l’assistance, comprenant notamment le jury présidé par l’actrice américaine Jessica Chastain.
Sur l’estrade, Asmae El Moudir n’était pas seule. Elle avait appelé à ses côtés des membres de sa famille, dont sa grand-mère paternelle, personnage central du film. Dans cette docufiction qui ne dit pas son nom, elle joue son propre rôle, celui de la matriarche gardienne d’une mémoire qu’elle voulait hermétique, impénétrable.
Une véritable mission de protection qu’elle remplissait avec autorité, créant frictions et quiproquos au sein de la famille. Au fil des scènes, elle est présentée comme un personnage sévère, véritable despote prônant le secret et les silences quand elle ne les impose pas.
Conjurer le silence
Comment alors Asmae El Moudir a-t-elle pu convaincre cette grand-mère aussi taiseuse qu’intransigeante, «qui a toujours été opposée aux photos», de se dévoiler autant devant la caméra? La scène d’ouverture du film, où la réalisatrice place un appareil auditif dans l’oreille de son aïeule, donne des éléments de réponse.
«J’ai réussi à la convaincre petit à petit. Je n’ai pas posé la caméra dès le début de l’aventure. J’ai d’abord enregistré le son, puis je lui ai présenté trois actrices marocaines connues, dont je tairais le nom, pour qu’elles incarnent son personnage. Mais elle a refusé d’un bloc. Elle a fini par céder et a interprété elle-même son propre rôle», confie Asmae El Moudir dans une déclaration pour Le360.
«La mère de tous les mensonges», où jouent également le père et la mère de la réalisatrice, ainsi que deux de leurs voisins, est une mise en abîme, un film cathartique qui veut conjurer le(s) silence(s). «C’est parti d’une idée, il y a dix ans, quand j’ai commencé à écrire le scénario de ce film. Je voulais savoir comment il est possible de construire une mémoire sans aucun cliché. Je suis donc parti de 0 image, pour arriver finalement à 500 rushes», révèle-t-elle.
Quelle est donc l’histoire que la grand-mère a voulu enterrer? C’est celle que des Casablancais ont vécu en 1981, lors des tristement célèbres «émeutes du pain», des manifestations populaires violemment réprimées et qui se sont soldées par de nombreuses victimes. Fatéma, la tante de la réalisatrice, qui venait alors de décrocher son certificat d’études primaires, était l’une d’elles.
Cette histoire, comme tant d’autres évènements importants, tristes ou joyeux, était cadenassée dans la mémoire de cette famille et de ses membres. Comment en parler, comment s’en souvenir, si on n’en a gardé aucune trace? C’est là le premier questionnement qui tisse la trame de «La Mère de tous les mensonges». Un film où le père fabrique les figurines devant servir à reconstituer les personnages du quartier, et où la mère, couturière de ces poupées, les habille pour faire à son tour renaître ce qui a été enterré de force.