Exodus… Voilà une affaire qui ne devrait pas faire la fierté du Maroc en 2014. L’interdiction de projeter dans les salles marocaines le dernier Ridley Scott, intervenue mercredi 24 décembre, vient comme une tache noire maculer une troisième année culturelle écoulée sans ambages, avec un département du cinéma sous la tutelle d’un ministre de la communication islamiste.
Cette censure – il n’y a pas d’autres mots pour qualifier cela – vient surtout illustrer la mainmise effective des islamistes sur ce domaine artistique. Un domaine qui avait une marge de liberté confortable sous l’ère de Nourredine Sail, ancien directeur du Centre cinématographique marocain. Un homme auquel le milieu du cinéma peut reprocher tant de choses, sauf sa conviction sincère en la liberté de créer. Ses nombreuses prises de position pour soutenir des artistes marocains stigmatisés par des associations (pour la plupart du temps islamistes) ou parfois même des officiels sont assez nombreuses dans ce sens.
Le retour de la censure était un des points que redoutait le microcosme du cinéma marocain avec le départ de Sail et la nomination de Sarim Fassi-Fihri. Non pas que l’homme au cigare, comme tout le monde l’appelle, soit lui-même un puritain ou un conservateur, mais le nouveau patron du cinéma doit sa nomination à un ministre islamiste qui risquerait d’intervenir dans les décisions. Sarim Fassi-Fihri se voulait pourtant rassurant quant à cette question de censure, comme il l’expliquait devant la caméra de Le360 au lendemain de sa nomination, début octobre dernier. Extrait Vidéo.
Déprogrammer un film des salles est un événement qui n’est plus survenu au Maroc depuis 2003 avec le film «Une minute de soleil en moins», signé Nabil Ayouch. Sarim Fassi-Fihri, lui-même, pensait que cette époque était révolue avant qu’il ne le découvre à ses dépens avec le cas d’Exodus.
Et pour cause, la chronologie de la déprogrammation d’Exodus dans les salles laisse montrer que le patron du CCM lui-même a subi des pressions pour émettre une décision d’interdiction de projection. Le Centre cinématographique avait d’abord accordé son visa pour l’exploitation au distributeur du film avant que les responsables de cette administration ne se mettent à appeler en catastrophe, le 24 décembre, jour même de la sortie, les exploitants de salles pour retirer le film de leurs écrans. Tous les propriétaires de cinéma se sont exécutés, obéissant à des instructions verbales, sauf Mounia Layadi Benkirane, distributrice du film qui a continué de le projeter au cinéma Le Collisée, à Marrakech, la salle qu’elle dirige. Résultat, le CCM a été forcé d’émettre une note interdisant l’exploitation du film datée du 26 décembre.
Pour justifier l’interdiction de ce film retraçant le mythe biblique de la fuite des Hébreux, le CCM explique qu’Exodus «personnifie dieu en un enfant dans une scène où il communique la révélation à Moise». Une raison sur laquelle peut se reposer tout le monde arabo-musulman pour interdire sa sortie en salle.
Comprenez donc qu’il n’y a pas vraiment d’exception marocaine en matière de cinéma. Demain, il ne faudra donc pas s’étonner si un film marocain se retrouve sous le coup de la censure, pour un baiser langoureux, une scène de nu, voire des propos jugés blasphématoires. L’affaire Exodus semble être le clap final pour une parenthèse de liberté que le cinéma marocain a vécue. Dommage pour notre liberté de création… Quand aux spectateurs, il ne faut pas s’en faire pour eux: Exodus ne tardera pas à être en téléchargement, en streaming ou en vente chez le vendeur de DVD de «ras derb».